A sa mort en mai 1886, Emily Dickinson laisse derrière elle des monceaux de papier. Lettres, écrits divers et surtout poèmes. Des dizaines de morceaux de papiers accumulés au fil des ans que sa sœur, Lavinia, va découvrir dans la chambre d’Emily. Les dernières volontés de celle-ci sont claires : elle a demandé que tous ses papiers personnels soient détruits. Mais Lavinia ne peut se résoudre à jeter au feu les centaines de papiers, notes, emballages, enveloppes sur lesquels Emily a jeté ses mots, formant autant de poèmes. Elle va même prendre la décision de les conserver et de les faire éditer. Avec l’aide de sa belle-sœur, Susan et surtout de la maîtresse de son frère, Mabel, les écrits d’Emily vont être classés, corrigés, regroupés pour les faire sortir de l’ombre.
Dominique Fortier reprend l’histoire là où elle l’avait laissé avec Les Villes de papier. A croire qu’on ne se débarrasse pas si facilement de l’envoutante Emily Dickinson. Elle raconte ici l’après Emily et interroge sur la naissance d’une œuvre. Car si Lavinia avait écouté sa sœur et respecté son souhait, jamais les poèmes d’Emily ne seraient parvenus jusqu’à nous. Si ces trois femmes ne s’étaient pas mobilisées pour faire émerger la voix d’Emily de ces centaines de papiers nous ne connaitrions rien de l’œuvre de la recluse d’Amherst.
Dominique Fortier rend ici un bel hommage à Lavinia, travailleuse de l’ombre, consciente du talent de sa sœur et de la valeur inestimable des écrits qu’elle laisse derrière elle. Peut-on lui en vouloir de ne pas avoir respecté les volontés d'Emily ? Clairement non. Que seraient devenus ces poèmes si Lavinia était partie avant sa sœur ? Est-ce qu’Austin, leur frère, aurait eu cette sensibilité et cette prescience qu’il y avait ici une matière admirable, vivante, qui exprimait miraculeusement la personnalité d’Emily ?
En parallèle, Dominique Fortier s’attache à nous décrire ces trois femmes réunies autour d’une mission commune. Lavinia donc, en sœur dévouée. Susan, la femme d’Austin et amie d’Emily qui souffre de l’infidélité de son mari mais aussi du deuil d’un enfant. Et Mabel, maîtresse d’Austin, habitée par les écrits d’Emily et qui permettra à ses poèmes de prendre forme.
C’est un véritable plaisir de retrouver la plume de Dominique Fortier qui sait si bien parler d’Emily Dickinson mais aussi d’amour, de deuil, de passions, de littérature, de filiation à travers le portrait de ces trois femmes qui ont côtoyé Emily Dickinson et grâce auxquelles elle a aujourd’hui toute sa place dans l’univers littéraire.