Lorsque Ken Follett, spécialiste du roman d'espionnage, annonce la sortie d'un roman historique se déroulant à l'époque de la Guerre Civile anglaise, au XIIe siècle, personne ne s'attend à quelque chose de grandiose. Et si Les Piliers de la Terre est un roman aussi connu et célébré de nos jours, c'est grâce à un long et patient travail de bouche à oreille, où les mérites de l’œuvre se sont propagés à toute une population de lecteurs.
Les Piliers de la terre possède de nombreuses qualités, à commencer par une histoire complexe mêlant des personnages de plusieurs niveaux sociaux qui vont s'allier et/ou s'affronter lors d'une période particulière sombre de l'histoire de la perfide Albion, une Guerre Civile qui ravagea le pays au milieu du XIIe siècle suite à la mort du roi Henry Ier ; comme souvent, la guerre civile a pour origine l'absence de descendance légitime au roi, son unique héritier étant mort lors d'un naufrage.
Pour bien montrer que cette guerre est un cœur du roman, Follet a placé l'une des batailles principales (la bataille de Lincoln) pile au milieu du livre.
Parmi les personnages réels, nous avons donc le roi Stephen (Etienne de Blois) et sa concurrente Maud (Mathilde d'Angleterre), ainsi que quelques comtes comme Robert de Gloucester.
Et du côté des personnages fictifs, il y a Philip, prieur d'une communauté monastique qui veut faire construire sa cathédrale, et c'est autour de ce bâtiment en devenir que vont tournoyer tous les autres personnages principaux.
L'une des principales qualités du roman est de rappeler l'importance qu'avait la religion à cette époque. Dans un roman qui a pour thème principal le pouvoir, Follett nous décrit un monde où la religion a au moins autant d'importance que la politique. Ou plutôt, politique et religion sont indissociables.
C'est un peu le sens de cette dernière partie, qui résume l'ensemble et qui est centrée sur l'assassinat de l'archevêque Thomas Becket. Un crime qui est lié à la politique, puisque le prêtre constituait une opposition directe au roi Henry II. Et assassinat qui va se retourner contre le roi, en une scène finale assez hallucinante.
Toute cette opposition entre temporel et spirituel est résumée dans l'affrontement entre Philip et William Hamleigh. D'un côté, le prêtre qui croit au pouvoir de la spiritualité, de l'amour et du pardon ; de l'autre, le comte, guerrier et meurtrier n'hésitant pas à tous les crimes pour accéder et se maintenir au pouvoir.
Les Piliers de la Terre va donc faire se rencontrer des personnages de toutes classes sociales autour de la construction d'une cathédrale. Nous avons des gens de pouvoir, rois, comtes et évêques, et des humbles, maçons, moines, etc. Avec cela, Follett, en se basant sur une solide documentation, dresse le portrait d'un Moyen Age en pleine transition, entre roman et gothique, entre guerre civile et paix du roi, entre construction d'une civilisation et destruction barbare.
Car les forces qui s'opposent sont bien celles de l'édification contre celles de la destruction. La construction ne se limite pas à la cathédrale : le projet de Philip est d'instaurer toute une communauté humaine qui vivrait dans la paix, protégée par le pouvoir religieux, là où l'extérieur n'est qu'agression et violence.
Ce personnage de Philip est d'ailleurs absolument formidable, le meilleur du roman. Face à lui, Follett a bien pris soin de créer de véritables méchants, qu'ils soient bêtement brutaux comme William Hamleigh ou sournoisement visqueux comme Walerand Bigod.
Vraiment, j'aurais du mal à quitter ce monde...
L'écriture privilégie l'efficacité sur la qualité : nous n'avons pas un génie littéraire, nous avons un grand conteur, passionnant, sachant faire alterner passages intimes et destins grandioses, fictions et réalités. Certes, la répétition d'un même schéma (Walerand a une idée pour embêter Philip, William exécute l'idée et Philip s'en sort quand même) se révèle parfois un peu systématique et lassante, mais l'ensemble est de très haute volée. La description du Moyen Age est très documentée et totalement immersive : nous sommes vraiment en plein XIIème siècle, dans un mode de vie complètement différent du nôtre, au milieu de la boue et du sang.
A lire donc.
[par contre, j'avais eu l'idée, depuis quelques années maintenant, de relire ce roman dans l'optique d'enchaîner avec sa suite, mais la lecture de quelques critiques m'a franchement refroidi. je vais peut-être patienter un peu...]