« Tell them stories. »

Cette série a traîné quelques années dans ma bibliothèque et je ne l'ai finalement lue que cet été. J'aime beaucoup la littérature jeunesse, mais plus encore lorsqu'elle ne m'apparait pas comme telle, lorsque je ne me dis pas : « j'aurais adoré lire ça il y a dix ans », mais que je peux l'apprécier à part entière. J'ai été servie et je recommande, même à ceux qui ont déjà tenté de lire À la Croisée des Mondes plus jeunes et n'avaient pas aimé. C'est tout simplement l'une des meilleures séries jeunesse que je connaisse.

On sent bien à la lecture que Pullman fait partie des auteurs qui inventent et découvrent leur propre histoire au fur et à mesure qu'ils l'écrivent, pas de ceux qui commencent par en faire un plan. Cela suppose un certain nombre de détours, un fourmillement d'idées et de personnages qui vont et viennent, d'autant plus que l'on visite plusieurs mondes et que l'histoire nous est racontée par un narrateur omniscient. Je trouve que ça fonctionne très bien et contribue à l'impression de réalisme que veut rendre Pullman, au sein de cet univers fantastique, car la vie est fouillis, aléatoire et riche, et cette trilogie aussi.
Une précision tout de même, je n'ai lu que la traduction française, qui m'a semblé bancale à certains moments (c'est plus difficile de s'en rendre compte sans l'original sous les yeux), mais globalement le style de Pullman lui n'est pas fouillis, le texte est fluide, concis quand il faut l'être... Et je dois le lire en Anglais.

Quant à l'histoire, je ne vais pas la résumer, elle est pleine d'aventures, de rencontres, de quêtes, de magie, en somme d'ingrédients très courants dans la fantasy. Mais Pullman traite de sujets qu'on y trouve rarement (religion, sexualité... rares dans la fantasy jeunesse au moins), créé des personnages complexes voire ambivalents, mais sans prétendre à une quelconque analyse psychologique de comptoir. Pour autant, les personnages sont crédibles. Par exemple, si les enfants, Lyra (l'héroïne) et Will (à partir du tome 2), arrivent à déjouer les plans des « méchants », ce n'est pas parce qu'ils sont particulièrement intelligents alors que les méchants sont des abrutis finis, loin de là. Ils obtiennent souvent de l'aide, d'autres personnes ou d'objets magiques, et n'arrivent pas toujours à échapper à leurs infortunes (d'où quelques scènes déchirantes). Et puis, bien sûr, il n'y a pas vraiment de « méchants », ce qui ne veut pas dire qu'il s'avère à la fin que tout le monde était gentil...

Je pourrais détailler les nombreux sujets abordés de façon très intéressantes dans ces romans, les réflexions sur l'innocence, le passage de l'enfance à l'adolescence, le libre-arbitre, la foi, l'origine et le sens de la vie, l'Amour, tant de questions existentielles auxquelles sont confrontés les héros, mais le mieux est encore de le lire. J'apprécie le fait que Pullman ne fasse pas la morale au lecteur, même si son point de vue est assez évident et, concernant la religion, lui a valu beaucoup de critiques (dans des interviews, il n'hésite pas à dire que "les églises sont des forces malveillantes", vous êtes prévenus).

La richesse de l'univers de Pullman réside dans un certain nombre de choses, dont ces multiples mondes parallèles que l'on peut traverser, mais surtout deux choses : son idée de la « Poussière », qui semble représenter l'expérience (donc le péché pour certains), par opposition à l'innocence, et qui est l'un des principaux sujets d'étude des scientifiques du monde de Lyra ; et la seconde et pas la moindre : les dæmons qui, pour simplifier, sont l'incarnation sous forme animale de l'âme de chaque être humain.

Ah, ces dæmons. Ah, ce génie.
Les dæmons font entièrement partie de chaque personne et ne peuvent normalement pas s'éloigner de leur humain sans altérer le lien qui les relie, puisqu'ils sont censés ne faire qu'un. Ils changent sans cesse de forme pendant l'enfance puis se stabilisent au moment de l'entrée dans « l'âge adulte ». Le plus grand tabou, dans le monde de Lyra, est de toucher le dæmon de quelqu'un d'autre. Et tout ça ouvre une dimension absolument magnifique dans l'univers de Pullman. Attention, ça peut faire bondir d'indignation et pleurer.

C'est dans la relation entre les humains et leurs dæmons que j'ai trouvé le plus grand intérêt à toute la trilogie et que, l'empathie faisant son œuvre, mon pauvre cœur a été le plus éprouvé. Rarement un livre ne m'avait autant émue, et on parle pourtant d'un animal parlant qui accompagne une gamine partout. Tout ça titille probablement des angoisses archaïques vu les états dans lesquels certaines scènes peuvent nous plonger... Ceux qui ont lu les livres n'auront sans doute pas oublié ces scènes, qui personnellement m'ont parfois obligée à refermer le livre le temps de m'en remettre (ou d'essayer), alors qu'en temps normal j'avais plutôt du mal à en décrocher. Même si jusque-là j'étais déjà impliquée dans l'histoire, je ne m'étais pas attendu à être à tel point submergée par les émotions. Mais comme la plupart des masochistes de la littérature, j'adore quand ça arrive, même si ça coûte cher en mouchoirs.