C'est en feuilletant dernièrement un livre, tombant une fois de trop sur certaines assertions un peu simplistes, que j'ai entrepris la rédaction du texte qui suit. Le titre de l'essai en question importe peu, les propos étant finalement interchangeables d'une œuvre à l'autre. En voici la teneur :



En 1543, l'astronome polonais Nicolas Copernic fait vaciller toutes les certitudes de l'époque en démontrant que la cosmologie léguée par Aristote et Ptolémée est fausse [...] Quand Copernic avance sa théorie de l'héliocentrisme, il s'attire les foudres de l’Église [...] Galilée fut quant à lui persécuté pour avoir démontré que la Terre tourne autour du soleil.



Il est très probable que l'auteur, persévérant alors dans son élan irrésistible, enchaîne sur un hommage vibrant à LASCIENCE, sortie vainqueur de ce fatras religieux obscurantiste, ces PENSÉESMAGIQUES comme il sied de dire à un esprit éclairé, qui ne furent que trop longtemps un obstacle au libre déploiement de la VÉRITÉVRAIE.


Ce qui est fascinant, c'est de constater la vitesse avec laquelle la sottise finit toujours par invoquer LASCIENCE, dès qu'il s'agit de questions complexes dont elle n'a pas la moindre idée.



Modèles et théories



Débutons notre histoire au seuil de la modernité.


Jusqu'au XVIIe siècle, l'astronomie théorique a surtout pour fonction de fournir des modèles. Qu'est ce qu'un modèle ? C'est un discours descriptif dans lequel il est écarté le problème de l'adéquation entre le propos tenu par le savoir et la réalité dont il doit rendre compte. En gros, c'est une structure descriptive plus que véritablement analytique et compréhensive. Un modèle peut par exemple décrire la trajectoire de la Terre autour du soleil (ou le contraire), la question du Pourquoi reste posée. A l'inverse, une théorie donne une raison d'être aux descriptions qu'elle fournit : elle est de nature explicative.


Ainsi, il a longtemps existé une division des tâches entre celui qui observe les cieux (l'astronome), dont le rôle était de fournir une description afin de "sauver les apparences" et le savant (le théologien ou le philosophe) chargé d'en rendre compte philosophiquement. En matière de philosophie naturelle Aristote fait alors autorité.


Il n'est donc guère étonnant de lire sous la plume d'un Thomas d'Aquin, « Les hypothèses qu'ils [les astronomes] ont trouvées ne sont pas nécessairement vraies, puisque par hasard les apparences, en ce qui concerne les étoiles, sont sauvées d'une autre manière, qui n'est pas encore comprise des hommes. » (Commentaires du Traité du ciel)


De ce point de vue, l'astronomie géocentrique ancienne, issue de Ptolémée, est un modèle qui peut être considéré comme efficace, c'est à dire prédictif. La quantité considérable d’épicycles que les Anciens ont introduits dans leurs descriptions des mouvements célestes, permettent de décrire de façon très précise les trajectoires planétaires. La philosophie d'Aristote rendra ensuite compte du fond des choses.



Copernic



Nicolas Copernic est un chanoine polonais ayant vécu au début du XVIe siècle. Passionné d'astronomie, il attendit la fin de sa vie pour publier ses travaux. Cela est bien connu. Crainte de la censure ecclésiastique ? Pas du tout. C'est plutôt par peur de la réaction de ses collègues universitaires ayant consacré une bonne partie de leur vie à défendre le géocentrisme.


Que cache précisément un tel retrait ?


En réalité, au contraire de ce qui est souvent avancé, Copernic possède un tempérament réservé et conservateur. Malgré une certaine audace, il garde un profond attachement à la tradition, notamment celle d'Aristote.


Comme expliqué plus haut, ce que Copernic propose est un modèle, à visée essentiellement descriptive donc. Le hic, c'est qu'en terme de précision, celui-ci fait pire que le modèle issu de Ptolémée. Car Copernic adopta certes l'héliocentrisme, mais en conservant toute l'armature conceptuelle qui avait été mise en place depuis Aristote. Notamment l'idée, naturelle pour l'époque, de l'orbite circulaire des planètes, symbole de la perfection immuable des cieux. « Seul un traditionaliste comme Copernic pouvait se consacrer à la besogne de concilier les inconciliables doctrines de la physique d'Aristote et de la cyclométrie de Ptolémée d'une part, et l'idée de l'univers héliocentrique d'autre part. »


Si par certains aspects le modèle copernicien gagne en simplicité et élégance, l'adoption des orbites circulaires a pour conséquence le déplacement du centre concret de son système vers... le vide. « Autrefois l'Univers avait eu pour centre la Terre, noyau très solide, très tangible ; à présent le monde s'articulait tout entier à un point de l'espace vide. [...] Le système de Copernic n'était pas vraiment héliocentrique : mais centré sur le vide, pour ainsi dire. »


En fait, le système de Copernic parvient même à être encore plus compliqué que celui de Ptolémée : le total d'épicycles monte à 48, contre les 40 de son concurrent. Face à de tels problèmes, en apparence insolubles, il n'est guère surprenant qu'une personnalité telle que Copernic ait longtemps rechigné à publier ses écrits.


Ce n'est donc qu'en 1543, à la veille de sa mort, avec les encouragements du Vatican, qu'il se décida à faire paraître son célèbre Des révolutions des sphères célestes. Dans la préface, il dédie l'ouvrage au pape Paul III.



Galilée



Il est alors aisé de comprendre pourquoi Galilée était lui aussi dans l'incapacité de prouver la thèse héliocentrique dont il s'était fait l'ardent défenseur : à l'instar de Copernic, il lui manquait la description elliptique de la trajectoire des planètes. Des présomptions, aussi fortes soient-elles, ne sont pas des preuves (l'observation des satellites de Jupiter ou encore des tâches solaires étaient autant d'indices allant à l'encontre des thèses d'Aristote), et celui-ci aurait sûrement été plus avisé de s'enquérir des travaux concomitant de Kepler plutôt que de proclamer un peu vite « il a été donné à moi et à moi seul de découvrir tous les nouveaux phénomènes du ciel et rien aux autres ». Il pourrait ici être tentant d'appliquer ce principe, cher à nos amis zététiciens, à savoir que ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve.


Car Galilée était un certes un génie, mais il apporta beaucoup plus à la mécanique terrestre que céleste. À présenter alors ses idées, en absence de toute preuve, non pas à la façon d'une simple hypothèse, mais comme une description véridique du monde, il empiétait sur un domaine qui était jusque là le pré carré de la théologie. La personnalité du savant suffit alors à mettre le feu aux poudres : en ridiculisant les thèses adverses dans son célèbre Dialogue sur les deux systèmes du monde (par l'entremise du personnage Simplicio, dans lequel le pape s'est cru reconnaître), il se mit à dos une bonne partie des savants et des théologiens de son époque. Cela explique-t-il sûrement, à défaut de pouvoir l'excuser, ses démêlés peu glorieux avec l’Église catholique (condamnation réduite à une simple assignation à résidence), dans un contexte particulier marqué par un climat politique et religieux tourmenté : celui de la Contre-Réforme, où une interprétation très littérale des textes sacrés était de règle.


Affaire restée célèbre, cette condamnation eut de graves conséquences sur les rapports entre la foi et la science. Car il faut bien reconnaître l'existence d'une certaine vulgate autour de la vie de Galilée, personnage devenu le symbole du prétendu refus par l’Église du progrès scientifique, ou encore de l'obscurantisme dogmatique opposé à la recherche désintéressée de la vérité. L’Église ne fut pourtant pas la seule à avoir commis des erreurs dans cette triste affaire. L'existence de certains travers, propres à la nature humaine, à joué un rôle indéniable.



Kepler



Une idée répandue, concernant la différence entre science et religion, porte sur leurs méthodes respectives de découverte. D'un côté la révélation, de l'autre la déduction logique et l'accumulation de données issues de l'observation. Pourtant, une telle description de la découverte scientifique ne retranscrit pas correctement la réalité, du moins pour les grandes avancées de l'histoire des sciences. Il est souvent bien plus question d'une "révélation", ou d'une intuition (dit-on dans les cercles scientifiques), que de méthodes rationnelles de déduction. Le mysticisme et la religion sont régulièrement le moteur des idées scientifiques révolutionnaires, au moins dans leur genèse. Le climat idéologique et religieux de l'époque, et le cas particulier de Kepler, sont à cet égard exemplaires.


En amont de toute investigation scientifique il y a un acte de foi : la croyance en l'intelligibilité du monde. Le scientifique doit personnellement s'engager à croire qu'il existe un ordre prévalent dans l'Univers et que l'esprit humain est capable de comprendre cet ordre, « Ce qui est incompréhensible c'est que le monde soit compréhensible ». L'histoire des sciences a montré que cette foi a pris racine au Moyen Âge grâce à deux présupposés métaphysiques :



  • L'Univers est l'œuvre d'un Dieu qui est la Raison même.

  • Il peut être appréhendé par la raison, plus précisément les mathématiques ("La nature est écrite en langage mathématique" disait Galilée).


D'autre part, l'œuvre de Kepler est parsemée de nombreuses divagations mystiques, notamment certaines considérations liées à l'astrologie, cette croyance en une mystérieuse correspondance entre le macrocosme, les astres, et le microcosme, l'Homme. Fariboles inutiles témoignant d'un esprit encore "pré-scientifique" ? Pourtant, loin d'être un frein à la découverte du cosmos, ces intuitions vont lui fournir l'énergie et l'abnégation nécessaires à l'obtention de résultats certes inattendus, mais non moins féconds.


Convaincu que la configuration spatiale des six planètes du système solaire se devait de refléter l'harmonie géométrique que Dieu avait mis dans sa Création, il s'épuisa à la tâche dans son projet d'intercaler entre les orbes planétaires les cinq "solides parfaits" de Platon (le tétraèdre, le cube, l'octaèdre, le dodécaèdre et l'icosaèdre). Une illustration visuelle sera surement plus parlante.


Aidé dans son travail par les nombreuses observations accumulées par Tycho Brahé, Kepler dû pourtant se résoudre à la constatation que son idée était complètement erronée. Efforts inutiles ? Il est ironique de constater que ce qui fut considéré comme un échec du point de vue du principal intéressé, sera, en regard de l'histoire des sciences, un formidable pas en avant. Le fruit de cette quête mystique, c'est la déduction par Kepler de trois lois concernant la révolution des planètes. Le cercle, dogme aristotélicien, venait enfin de laisser place à l'ellipse. Considération sûrement sans intérêt pour Kepler, mais qui fera sauter un verrou idéologique primordial, tant l'influence intellectuelle d'Aristote sur les esprits savants de ce temps continuait à se faire sentir.



La Lune tombe



La remise en cause des dogmes aristotéliciens concernant les cieux se conjugua à l'émergence de la mécanique moderne, initiée par Galilée. Alors que le mouvement des objets se voyaient privés des "causes finales", de nouveaux concepts, quasi ésotériques pour l'époque, virent le jour : ceux de "Force", de "Travail" ou encore "d’Énergie". Les lois de l'inertie furent promulguées : en état de "repos" un objet peut se déplacer en "mouvement rectiligne uniforme". Quelle étrange idée alors, plus besoin de la notion de "moteur", chère à Aristote, pour permettre certains mouvements !


La grande synthèse vint alors de Newton qui, unissant la Terre et les Cieux, élabora la théorie de la Gravitation Universelle. « Il fallait être Newton pour apercevoir que la lune tombe, quand tout le monde voit bien qu'elle ne tombe pas » (Paul Valéry)


Contrairement à ce qu'affirme une idéologie scientiste un peu naïve, le progrès scientifique n'est pas linéaire : il est fait d'impasses, de régressions, de stagnations et de quelques rares sauts révolutionnaires. Pour entrer dans la modernité, la science emprunta donc un chemin hasardeux semé d'embûches, partant d'un modèle géocentrique pour arriver à une théorie héliocentrique. La gravitation universelle, loin de simplement décrire le mouvement des astres, donna un cadre explicatif à l'ensemble des mouvements de l'Univers.


L'astronomie quitta ainsi le domaine de la pure spéculation pour rejoindre celui de la physique. Née d'un conflit bien malheureux avec la religion, la physique allait vite prendre son essor et son autonomie. Pourtant, n'oublions pas que dans leur inspiration profonde ces deux domaines se rejoignent.


Copernic, Galilée, Kepler ou encore Newton possédaient chacun leur propre tempérament mais tous eurent en commun d'être allés puiser dans la religion l'inspiration créatrice. La raison livrée à elle-même est souvent bien en peine pour mener une telle entreprise. Aujourd'hui où la science théorique semble dans une impasse, peut-être nous manque-t-il ce genre d'esprits universels ?


"Kepler priait en langage mathématique, il confessa sa foi mystique dans le Cantique des Cantiques d'un poète mathématicien :


« Ainsi Dieu lui-même, trop bon pour demeurer oisif, commença à jouer au jeu des signatures, signant son image sur le monde : donc je me risque à penser que toute la nature et la beauté des cieux sont symbolisées en l'art de géométrie... Or Dieu le créateur en jouant apprit le jeu à la Nature qu'il créa à son image : lui enseigna le jeu même qu'il lui jouait »

Créée

le 28 août 2021

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P. b.

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Ce livre est captivant. Il raconte l'astronomie jusqu'à Newton, en se concentrant tout spécialement sur Copernic, Kepler et Galilée. Instructif et très agréable à lire.

le 28 juin 2013

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