La nostalgie de la vie des objets

Ce petit essai, à classer entre la chanson "Les temps changent" de MC Solaar et les souvenirs compilés par Georges Perec dans "Je me souviens", raconte l'évolution des modes de vie à travers 29 objets du quotidien. Arlette Camion mobilise à la fois ses souvenirs, ceux de ses contemporains et diverses références culturelles pour dresser un portrait doux amer de ces choses qui ont accompagnés les repas, les échanges, les loisirs, la mobilité ou la mode des Français et des Françaises de la fin de la guerre à l'aube du XXIe siècle.

Parmi ces objets passés au crible, dont le cendrier Martini, la couchette de seconde classe, le bidet ou la manivelle, ma préférence se porte sur le texte qui décrit les usages de la gamelle. Dans sa description, l'auteure propose une analyse sociale et culturelle des évolutions alimentaires du repas du midi, à l'aune entre autres de la dégradation des conditions ouvrières et des politiques de délocalisation. En voici un extrait :

L'ouvrier et son ouvrière partaient le matin en vélo à l'usine, la gamelle dans la sacoche. Les sonnettes tintinnabulaient sur les pavés, la grille s'ouvrait dans un halo de cliquetis, et c'était parti pour une matinée devant la machine, dans le bruit, dans la poussière de la laine ou du coton qui scintillait dans les raies de lumière descendant des verrières. Puis ce fut devant les machines, car il fallait passer de l'une à l'autre. Le midi on reprenait la gamelle que l'on avait enfermée avec son manteau ou sa canadienne dans l'armoire de métal du vestiaire, on partait dans la grande salle la poser sur les réchauds malpropres, on s'asseyait sur des bancs de bois et on l'avalait vite. La gamelle disparut lorsque l'on décida que les entreprises devaient nourrir leurs employés, en déduisant ces frais de leurs émoluments. Il y eut des cantines, puis des self-services, puis plus rien du tout, même plus de gamelle, car il n'y eut plus d'usines.

La lecture est rapide et agréable. L'essai s'adresse aux nostalgiques d'une époque, ainsi qu'aux personnes curieuses de découvrir une analyse sociologique, sans prétention et personnelle, de pratiques quotidiennes résolument disparues.