Ce 24 mars est paru Les Trois Malla-Moulgars, un roman de fantasy animalière écrit par Walter de La Mare, célèbre auteur anglo-saxon d'imaginaire ayant bercé toute une génération d'écoliers anglais. Cet ouvrage, paru en 1910, fait peau neuve aux éditions Callidor, dont j'ai déjà parlé à propos de leur travail sur Salammbô, et pour lequel le coup de cœur a été instantané.

Chaussez vos bottes, révisez vos meilleures gigues moulgares, car nous partons pour les monts d'Arakkaboa !

Notre histoire commence au cœur de la forêt de Munza-moulgar, dans une Afrique imaginaire, aux côtés de trois jeunes singes royaux, aussi appelés des Malla-Moulgars : Pouss, Coudd et Nod. Après la mort de leur mère et la perte de leur foyer, il ne leur reste qu'une seule destination possible : les Vallées de Tishnar, afin d'y retrouver le sage Souilem, parti pour retrouver son frère, le prince Assasimmon. Aidés d'une amulette magique, la Pierreveilleuse, ils s'engagent alors dans une aventure épique, où le danger les attend au tournant.

L'art de Walter de la Mare réside dans une prose riche qu'il étoffe d'un langage imaginaire fascinant. L'immersion est totale et ce, dès les premières pages, car passé l'apprentissage des termes d'usages et la compréhension des mécaniques linguistiques de ce monde, il est impossible de ne pas s'émerveiller devant la richesse de l'univers des Trois Malla-Moulgars.

Chaque chapitre donne le ton à une nouvelle aventure et à de nouvelles rencontres édifiantes qui construisent le caractère du personnage central de cette aventure, Nod, jeune moulgar chétif et maladroit, mais qui se révèle vite être un personnage sensible, mélancolique, mais aussi brave et rusé. Aidé de sa Pierreveilleuse, artefact aux pouvoirs infinis, Nod s'illustre par sa complexité, alors qu'il n'est censé être qu'un personnage de conte pour enfants, et donne du grain à moudre sur le concept même d'une aventure intérieure.

Cette même aventure nous embarque donc dans une contrée étrange conquise par le givre, où des animaux anthropomorphisés évoluent en étant régis par des croyances, ont des chants, une culture, des habitudes propres à chaque tribus... le tout avec malgré tout cet horizon prometteur et fantasmé qu'est Tishnar. Sans morale aucune, ce récit d'aventure donne la part belle aux rencontres sur le chemin, aux croyances des uns et des autres, et à la quête d'une vie meilleure hors de ses habitudes confortables.

H.P Lovecraft n'hésite pas à parler de De la Mare dans son essai Epouvante et Surnaturel en Littérature en ces mots "De la Mare ne fait pas de la peur le seul ni même le principal ingrédient de la plupart de ses récits, car il semble plus intéressé par les subtilités psychologiques". Ces mêmes subtilités sont la clé de voute de toute la prose delamarienne, et mérite toute votre attention, alors lisez cet ouvrage avec autant de passion que l'auteur a pu en mettre en l'écrivant.

L'ensemble de cette somptueuse aventure est appuyée d'illustrations splendides réalisées par Anouck Faure, dont j'ai d'ailleurs adoré le premier roman, et dont le trait met autant en valeur la splendeur des hautes cimes des monts d'Arakkaboa comme les flammes dévorant l'arbre-Oukka. Un trait technique, aux tons de charbon, qui n'ont pas à rougir face aux illustrations, présentes aussi dans le livre, de Dorothy P. Lathrop, illustratrice de longue date des œuvres de l'auteur.

Les éditions Callidor savent décidément dénicher les perles rares oubliées de la littérature fantastique. Après leur succès avec le monument Eric Rucker Eddison, dont le style est pourtant loin d'être accessible à tous, ils rempilent avec une édition de toutes beautés, dont l'appareil critique se révèle très fourni.

Si la préface de Robert Silverberg révèle une part d'intimité touchante de l'auteur, c'est surtout l'incroyable postface du traducteur de l'ouvrage, Maxime Le Dain, qui interpelle. Elle donne le ton à une réflexion très intéressante sur le travail de traduction, en particulier d'auteurs aussi complexe que Walter de la Mare, qui n'hésite pas dans son roman à construire un langage imaginaire allié à une prose dense.

L'importance de la traduction est appuyée par une remise en contexte étoffée du travail de l'auteur ainsi que de l'influence qu'il aura eu sur des auteurs majeurs (une connexion avec Le Hobbit est ici immanquable et est étayée par de solides références de recherche). On ressort de l'ouvrage avec l'impression d'avoir été immergé en plein XIXème siècle, et l'on souhaiterait presque y retourner dès que possible.

Les Trois Malla-Moulgars est une fantasy animalière immanquable, qui gagne à être enfin reconnue comme telle, et le travail éditorial fantastique de Callidor confirme ce statut, alors foncez, et faite attention à l'Inappelée !

En vérité, c'est l'invisible, l'imaginé, l'inénarré, le fabuleux, l'oublié qui seul repose en paix loin de la mite et de la rouille mortelles.

Walter de la Mare

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le 15 juin 2023

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