Rendons grâce à Christian Garcin qui dans son nouveau roman a su débusquer un personnage d’aventurier peu commun. Ce faisant, il nous livre également une très bele réflexion sur la soif d’histoires et sur le besoin de tout un chacun d’avoir des rêves, de vouloir élargir son horizon.
Mais revenons à notre homme, ce Jeremiah Reynolds qui n’apparaît qu’au quatrième chapitre, au moment où ce «jeune journaliste débrouillard et ambitieux» croise la route de John Cleves Symmes Jr. On l’aura deviné, les trois premiers chapitres relatent le parcours de cet autre personnage, tout aussi haut en couleur, et qui influencera fortement son jeune interlocuteur. Ce vétéran parcourait les Etats-Unis pour expliquer sa théorie de la terre creuse et chercher un financement pour une expédition vers l’Antarctique. Si ce dernier n’obtenait guère de succès dans son entreprise, il n’en réussissait pas moins à convertir quelques auditeurs. Notamment ceux qui, comme Jeremiah, ne pensaient qu’à découvrir le vaste monde.
« Reynolds était né dans une famille pauvre du comté de Cumberland, en Pennsylvannie, et orphelin de père dès l’âge de cinq ans. Sa mère, Elizabeth Nicholson, s’était remariée l’année suivante avec un certain Job Jeffries, veuf également, dont le jeune fils, prénommé Darlington, serait l’unique compagnon de jeux de Jeremiah jusqu’à son départ douze ans plus tard sous des cieux plus accueillants. Ils déménagèrent tous ensemble dans le comté de Clinton, Ohio. »
C’est là que notre héros suivit quelques études tout en travaillant pour contribuer aux besoins de la famille. Il fut notamment embauché pour transporter des troncs jusqu’à la rivière, mais ne put s’acquitter de cette trop rude tâche. Bravant les quolibets, il assura aux moqueurs que viendrait «le temps où vous serez fiers et honorés d’avoir roulé des troncs d’arbre avec Jeremiah N. Reynolds. »
Ce qui peut sembler une forfanterie s’avérera être une vraie prophétie. De 1823, date de la rencontre avec Symmes, jusqu’en 1827, au moment de leur rupture brutale, le jeune apprend beaucoup, s’aguerrit et devient bien meilleur ambassadeur que son aîné.
Les années qui vont suivre sont celles de la concrétisation, du moins en partie, de ce grand dessein. Car enfin, il peut embarquer en direction du pôle Sud. Il atteindra les 62° de latitude sud et errera quelques temps le long du cap Barrow, à la pointe nord de l’Antarctique. Si «la théorie de la terre creuse semblait oubliée, et les tentatives den vérifier la pertinence momentanément abandonnées», il va rester un domaine où elle va continuer à faire florès : la littérature.
Le Voyage au centre de la terre de Symmes marque le point de départ de nombreux autres livres dont Christian Garcin nous raconte la genèse. Il y a là le «Manuscrit trouvé dans une bouteille», nouvelle d’Edgar Allan Poe que l’on peut considérer comme l’ébauche des Aventures d’Arthur Gordon Pym, le Pellucidar d’Edgar Rice Burroughs (le créateur de Tarzan), La Terre de Sannikov du russe Vladimir Obroutchev ou encore Les Montagnes hallucinées de H.P. Lovecraft, en passant bien sûr par le roman éponyme de Jules Verne.
Et si la soif d’aventures, de découverte, d’anticipation ne suffisait pas, voilà qu’apparaît une chasse au grand cachalot blanc, Mocha Dick.
On voit déjà poindre Hermann Melville et son célébrissime Moby Dick.
Mais Reynolds, qui faut-il le préciser a vraiment existé, ne veut pas vivre les rêves des autres.
En 1830, il choisit les champs de bataille et devient colonel pendant la guerre civile chilienne, puis chef militaire des armées mapuches, avant d’embarquer à nouveau pour rejoindre Boston via les côtes chiliennes, le Cap Horn, puis le Brésil avant d’arriver à Boston en 1834.
Il rejoindra ensuite New York, sera avocat, fera un peu de politique et tentera vainement d’écrire un chef d’œuvre. Rendons grâce à Christian Garcin d’avoir exhumé ce personnage étonnant dont les pessimistes diront qu’il n’a rien réussi et que seul l’appât du gain le motivait. Mais les plus optimistes, dont je fais partie, admireront l’opiniâtreté, la volonté et le brin de folie sans lequel il est bien difficile d’aspirer à transcender son existence.
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