Je crains que la comparaison entre le livre et le film soient inévitables tant les deux différent. Et pourtant, ce qui est paradoxal c’est que ce soit la même personne qui ait écrit le roman et réalisé le film. Alors, pourquoi autant de différences? J’imagine qu’un film et un roman ne répondent pas au même impératif; là où le livre peut s’offrir 291 pages l’adaptation ne peut pas. Mais en allant à l’essentiel, ne risque t-on pas d’enlever l’essentiel?
C’est évidemment l’impression que j’ai eu après coup. Dans un sens, il a mieux valu que je voix le film avant de le lire car j’aurai été fortement déçu je pense tant le livre surpasse et de loin le film. En effet, tout ce qui m’avait paru loufoque et parfois incompris, revêtait ici une forte connotation psychologique liée au passé, à l’enfance de Pippa Lee.
Le relation entre Pippa et sa mère est ici plus malsaine, moins édulcorée. Elle le dit d’ailleurs à un moment:
» J’étais à la fois l’amante et l’enfant de ma mère«
. Pour autant, l’inceste n’est pas confirmé du moins pas physiquement mais l’emprise, la domination mentales de Suky sur sa fille est indéniable. J’ai presque envie de dire que c’était une liaison fatale.
Quant au père quasiment absent du film, est beaucoup plus présent à ma plus grande joie. Son attitude face au complexe d’Electre de sa fille ( et la maladie de sa femme), est complexe. Pippa elle-même n’y comprend rien; l’adolescence n’y arrangeant rien bien au contraire. Tente-t-il de se protéger lui et/ou sa femme ou ce qu’il a construit? Ou est-ce que tout ça l’arrange? Ou encore sa foi l’oblige-t-il à chérir ce qu’il a même si c’est imparfait et ingrat quelquefois?
La richesse du personnage font en sorte qu’il n’y a ni bon ni mauvais, ni coupable ni victime. Ce sont des gens qui font au mieux avec les armes qu’ils ont en leur possession.
Autre chose qui est quand même pas mal occulté dans le film, les relations de Pippa avec les autres à commencer avec les femmes. Ses rapports se jouent toujours sur l’amour, le désamour, la jalousie et l’admiration. Amy, son amie d’enfance, en est le meilleur exemple puis il y a sa mère et ensuite, la petite amie de sa tante Trish.
Il y a également beaucoup de sexualité sous adjacente, de quête existentielle et d’identité; avoué ou non avec les femmes de sa vie. Avec Amy, elle se cherche peut-être; avec sa mère, le cordon ombilical n’a jamais été rompu de sorte qu’elle embrassait sa mère. Et tout comme sa mère faisait avec elle, Kat fait des photos où la sensualité et la sexualité sont exacerbés mais en même temps cachés.
Avec les hommes, c’est différent mais la menace permanente de la figure maternelle n’est jamais loin. Elle dit d’ailleurs que ce fardeau est transmis de génération en génération tel un héritage (pesant) refilée de mère en fille. Même, Suky y a eu droit et c’est sans doute pour se démarquer de sa propre mère qu’elle a été dans l’excès inverse avec Pippa. Cette dernière fera à son tour tout l’inverse avec Grace, sa fille pour la protéger.
Bon, vous allez me dire quel est le rapport avec les hommes hein? Eh ben, il semble que Pippa tout comme sa mère avant elle a une image formaté de l’homme. Tout sa vie, elle a pensé que le rôle d’une femme devait être de servir son mari, ses enfants. En clair, d’être une excellente mère au foyer et une épouse attentive aux désirs du maitre de la maison. C’est d’ailleurs ce qu’elle reproche au fils de Dot, Chris incarné par Keanu Reeves. Ce trentenaire qui vit comme un nomade au lieu de se trouver un boulot sérieux.
Parce que l’homme (toujours plus âgé qu’elle soit dit en passant) est celui qui fait bouillir la marmite et veille à la sécurité de la maison. Pippa attend de l’autre qui la dirige, la façonne et lui offre le rôle de sa vie. Et, c’est cette illusion là qu’elle perd aux prémices de la maladie de Herb, son mari. Piégée dans Papyland, Pippa réalise enfin que c’est à elle de décider qui elle veut être; qu’elle est une femme avec des désirs, des ambitions et des rêves.
Avec Chris, elle renoue avec cette féminité perdue avec cette volonté de retrouver sa liberté après tant de nuits blanches, de bons repas concoctés avec amour et de culpabilité. Elle a vu en Herb son sauveur, son guide tel un prince charmant venu pour la sauver elle, la fille perdue. Mais, en le faisant il l’a aussi piégée en la modelant à son image.
Les hommes sont eux-aussi victime de leurs choix ou de leurs absences de choix. Ils sont piégés également par le gente féminine, par leur éducation aussi sans doute. Eux, sont les pères aimants qui ramènent l’argent. D’un côté, on pourrait presque dire qu’ils ont le beau rôle parce qu’ils échappent aux corvées domestiques et au piège du quotidien. Mais, d’un autre côté il n’assiste pas aux premiers pas de leurs enfants, ils ne voient pas et/ou ne veulent pas voir la dépression de celles qui partagent leurs vies. Oui, ils ont raté quelque chose et leur virilité masculine en prend un sacré coup. Et, le temps n’arrange rien bien au contraire.
Je pourrai continuer encore longtemps comme ça tant ce roman est d’une finesse et d’une rare intelligence tant sur la psychologie humaine que sur le portrait peu glorieux des mirages de notre société contemporaine.