La voix du sang
S'il est un autre vampire qui tient la dragée haute au fameux comte en terme de popularité c'est bien Lestat. En inventant le personnage en 1976 dans son roman Entretien avec un vampire, Anne Rice...
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le 19 nov. 2019
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S'il est un autre vampire qui tient la dragée haute au fameux comte en terme de popularité c'est bien Lestat. En inventant le personnage en 1976 dans son roman Entretien avec un vampire, Anne Rice remit au goût du jour le mythe du vampire aristocrate tout en l'égratignant malicieusement en faisant de Lestat de Lioncourt un être tout aussi cruel et impitoyable que cynique, irascible et terriblement amoral. Décrit comme une créature pathétique et méprisable par son protégé Louis dans le premier roman des chroniques des vampires, Lestat de Lioncourt n'en marqua pas moins les mémoires des lecteurs au point de devenir l'incarnation moderne et fascinante du suceur de sang, plus loquace et vaniteux que le personnage de Stoker mais aussi bien plus vulnérable et humain.
On se souvient encore évidemment de sa plus célèbre incarnation cinématographique, Tom Cruise incarnant à l'écran en 1995 le fielleux suceur de sang dans l'adaptation du premier best-seller d'Anne Rice. Et si l'auteure ne cacha pas à l'époque sa déception d'apprendre que la star de Top Gun incarnerait son vampire fétiche (de son propre aveu, Rice ayant imaginé le personnage en ayant en tête Rutger Hauer) au point de s'exprimer publiquement sur son mécontentement quant à ce choix de casting, le jeu remarquable de l'acteur et la fidélité avec laquelle il retranscrit les traits de caractère du personnage à l'écran fit reconnaître plus tard à Rice qu'elle s'était fourvoyée sur le compte de Cruise (elle publia d'ailleurs une lettre d'excuse dans le Times). Je passerai sur l'autre incarnation du personnage (le brun (?) Stuart Townsend dans l'oubliable adaptation du troisième tome La Reine des damnées) ainsi que sur l'influence de Lestat sur bon nombre d'autres personnages de la même espèce (le cruel Angelus dans la série Buffy n'a-t-il pas un petit côté Lestat, de même que l'ambigu Damon Salvatore dans Vampire diaries ou encore le pathétique John Blaylock dans Les Prédateurs ?) pour me consacrer à la seule vision de Rice. Toute auréolée de gloire suite au succès de son premier volume en 1976, l'auteure ne tarda pas à s'intéresser aux origines et à la trajectoire fracassée du terrible mentor de Louis, son premier narrateur, en consacrant à ce dernier le second tome de ses Chroniques vampiriques.
Publié en 1985 et remportant très vite un franc succès (ce fut le bet-seller de cette année-là et il reste à ce jour le plus vendu des livres de Rice), Lestat le vampire nous conte donc l'histoire du célèbre vampire, de sa jeunesse fougueuse dans les massifs auvergnats de la France du 17ème siècle à sa résurrection tardive dans l'Amérique tumultueuse des années 80. Bien décidé à retrouver ses amours d'antan et à provoquer le courroux de ses congénères en violant l'une des sacro-saintes règles d'or du secret vampirique, Lestat se fait visionnaire, rêve d'une guerre apocalyptique entre humains et vampires et se met en tête de la provoquer en livrant tous ses secrets via son groupe de rock et sa sulfureuse autobiographie. C'est à travers celle-ci que Rice nous propose de redécouvrir le principal antagoniste du premier livre, Lestat s'y livrant comme Louis avait su si bien le faire quelques années plus tôt. Et c'est un tout autre personnage que l'on y découvre, plus romantique encore que l'avait été son protégé lorsqu'il évoque sa vie de mortel, ses frustrations et ses rêves brisés, le lien précieux qui l'unissait à sa mère, ses passions d'alors et son premier amour.
C'est par un exploit que Lestat présente sa vie, le jeune homme abattant à lui-seul toute une meute de loups affamés partis à ses trousses. Des loups en lesquels on peut évidemment trouver les prémisses de sa destinée, cet animal étant toujours lié depuis Stoker au mythe du suceur de sang (lire L'invité de Dracula). Dernier d'une lignée d'une famille de nobles désargentés, Lestat sait très bien qu'il n'obtiendra rien à attendre après son père et ses frères un quelconque héritage. Non, le jeune homme cultive le rêve de fuir loin du château familial, de s'engager dans les ordres, non pas par amour de Dieu mais par respect pour la vie monacale, ou de briller sur les planches en laissant libre court à son talent de comédien. Des rêves de jeunesse qui se heurtent tous à l'autorité patriarcale au grand désespoir du jeune homme et de sa mère. Attristée par le sort de son plus jeune fils, celle-ci lui somme un jour, argent à l'appui, de partir tenter sa chance dans la capitale, accompagné de son ami Nicolas et d'y vivre la vie qu'il lui plaira, loin de la tristesse des monts auvergnats. Ce sera donc à Paris que Lestat pourra réaliser son vieux rêve de devenir acteur, illuminant de sa présence et de son jeu enflammé de Lélio la petite scène d'un modeste théâtre, brillant aux yeux de tous, de ses amis d'alors et du public, parmi lequel se dessine chaque soir l'ombre furtive d'un admirateur singulier...
Il est intéressant de voir à quel point le Lestat de ce second opus contredit tout le jugement de Louis à son égard dans le premier livre. Bien moins insensible et revanchard que ce dernier le laissait croire, Lestat y est décrit comme un enfant des ténèbres turbulent et agitateur, démolissant par sa seule éloquence les cultes séculaires et obscurantistes. Ce n'est évidemment pas un hasard si Magnus a jeté son dévolu sur le jeune auvergnat. Fils déshérité d'une famille décadente, Lestat y devient l'enfant révolté d'un vampire renégat, lequel l'abandonne à un monde occulte régie par des lois dont le jeune homme ignore tout. Créature impie et solitaire, désormais condamné à l'éternité, Lestat ne tarde pas à se faire le chantre des nouveaux vampires, exhortant ses sinistres congénères à ignorer les lois anciennes, à ne plus craindre les superstitions liées au dieu chrétien et à s'adapter aux changements de leur époque. Les vampires n'ont à ses yeux aucun mérite à hanter tragiquement les cimetières et à éviter les lieux saints, ils doivent jouer la comédie de la vie et de l'humanité en se fondant parmi elle pour mieux s'en délecter. Lestat se fait ainsi autant d'alliés que d'ennemis, rencontre Armand, Félix, Elénie et Ceux qu'il faut garder, tente en vain de garder auprès de lui les êtres qui lui sont chers, leur offre l'éternité en cadeau avant de les voir lui échapper puis part à travers le monde sur les traces de Marius, un vampire légendaire, aussi ancien qu'éclairé, lequel détient peut-être les réponses aux nombreuses questions qu'il se pose sur la vie, l'amour, la mort et les origines. Le temps qui passe n'épargne rien ni personne et s'il existe un moyen d'échapper au feu sacrificiel et d'affronter la folie et l'abandon condamnant à très long terme tous les vampires, seul un enfant des millénaires le connait et saurait l'apprendre au plus curieux des derniers fils d'Akasha.
Tout comme dans son premier opus, Anne Rice dépoussière ici, de son style raffiné et volontairement suranné (rappelons qu'on lit ici les mémoires d'un vampire de deux cents ans), l'archétype classique du vampire pour le plier à sa sensibilité romanesque et subversive et en faire une créature tragique, livrée à une éternité de doute et de solitude. Plus encore qu'avec l'entretien de Louis, l'auteure se sert ici de la trajectoire initiatique du divin Lestat, ainsi que du regard qu'il pose sur les différentes époques qu'il traverse, pour explorer plus en détail les thèmes de la religion et des superstitions, de l'innocence et de la moralité, de la dépendance affective (et les rapports de force qui en découlent) et de l'amour homosexuel ou quasi-incestueux (voir ici comment la mère devient l'enfant et l'amante). Elle en profite également pour élaborer plus en avant toute la mythologie fantastique qui continuera de faire le succès de ses Chroniques (et de ses autres séries), convoquant déjà à l'occasion du récit de son prince vampire, bon nombre de personnages fascinants, vampires, esprits et divinités ancestrales qui hanteront le restant de son oeuvre. La puissance évocatrice de cette histoire et les nombreuses perspectives qui s'ouvrent au-delà de son seul récit, finit de placer Lestat le vampire parmi les plus grands romans du genre et fait de son personnage-éponyme, le plus parfait représentant du nouveau romantisme noir.
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le 19 nov. 2019
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