« Qu'est-ce que sauver l'homme ? »
Les Lettres à un ami allemand sont écrites durant l'Occupation par un Albert Camus résistant, et l'on voit déjà en elles les prémisses du théoricien de l'engagement et de la révolte qu'il sera durant le reste de sa vie. C'est une œuvre particulière dans sa forme, puisque épistolaire, et seuls les écrits de Camus sont lisibles. D'ailleurs, rien ne nous assure que cet « ami allemand » existe réellement.
Mais même s'il n'existe pas, il est tout à fait possible d'imaginer quel genre de personne cela pourrait être. Ecartant tout manichéisme qui aurait pu teinter l'œuvre en s'adressant à un réel Nazi, du genre soldat SS partisan des idées du parti jusqu'au bout des ongles, Camus peint une personne dont on pourrait imaginer qu'elle serait une ancienne classe moyenne allemande, de celle qui fut lessivée par le régime de Weimar et les différentes crises économiques. En définitive, une personne qui, comme des millions d'autres, porta Adolf Hitler au pouvoir.
Avec cet ouvrage, Camus aborde les principaux sujets du début du XXème siècle, le nationalisme en tête d'affiche, puisque la première lettre répond à l'injonction « Vous n'aimez pas votre pays. ». De la lecture de ces quelques pages (à peine 80 en tout) ressort la symbolisation de la défaite française, la possibilité d'un nationalisme qui ne soit pas un extrémisme et surtout, comme dans toute son œuvre, la primauté de la Justice sur toutes les autres valeurs morales.
Mais là où Camus est particulièrement pertinent, c'est qu'en écrivant ces lettres dans un contexte unique dans toute l'Histoire de l'Humanité, il parvient à nous faire tirer des enseignements encore très sensés aujourd'hui. Mutatis mutandis, ce livre correspond entièrement au climat que nous connaissons actuellement, au danger que représente le discours ethno-centré ou, de manière plus globale, de ce que nous pouvons résumer par la formule anglaise « Right or Wrong, it's my country ». Alors bien sûr, ce livre n'est pas un essai philosophique et n'en a pas la rigueur dans l'argumentaire. Il est une affirmation de l'intelligence face à l'injuste et la puissance et prend la forme d'un cri du cœur et de l'âme. Et nous sommes forcés de constater en refermant le livre qu'en politique, Camus a toujours raison.
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