Le déterminisme social, terreau pour raconter une histoire?

C’est une des premières fois que je lis un prix Goncourt d’un auteur que je ne connaissais pas.En tant qu’auteur, Nicolas Mathieu a du style.J’ai aimé sa façon de faire coïncider les mots de la narration avec la personnalité de ses personnages.Quand Hacine et Anthony sont en scène, l’auteur épouse leurs vocabulaires,leurs registres de langue et se met dans leurs têtes.Même si ces deux jeunes des années 90 viennent de milieux différents, le lecteur sent déjà leurs lassitudes face à la vie. Leurs inspirations, leurs désirs et leurs malaises les réunit au delà de leurs pedigrees.Personnellement, j’ai préféré l’arc narratif sur le personnage de Hacine.Son évolution contrariée, sa façon de se retrouver dans une vie dont il n’a pas envie dans les derniers chapitres, montre toute l’intériorité du jeune homme.On sent ses frustrations de se ranger, de faire comme tout le monde et de rechigner à prendre le moule.Puis, son silence n’est qu’une façade cachant ce qu’il n’a pas envie d’exposer.Par pudeur, Hacine ne veut pas éclater alors que cela lui ferait du bien d’éclater de temps en temps.Et sa relation dans le temps avec Anthony, fil rouge du livre, montre avec brio le gouffre séparant ces jeunes hommes qui ne peuvent pas se comprendre même s’ils passent par une ultime phase de tolérance assez incongrue.Mouvement plutôt habile que Nicolas Mathieu fait coïncider avec la concorde affichée de la Coupe du Monde 1998, parenthèse enchantée retardant le duel Hacine/Anthony plutôt inévitable ( comme celui des Montaigu et des Capulet).Malgré tout, j’émets quelques réserves.En commençant par cette volonté d’aborder le déterminisme social, sujet vraiment cassé-figure en littérature.Et est-ce un terreau idéal pour raconter une histoire en 2018? Même si Nicolas Mathieu, avec lequel je partage une proximité d’âge, tente de nous raconter déjà le manque d’horizon des jeunes des années 90, ne fait-il pas acte d’une sociologie réductrice? Faire camper son histoire dans une Lorraine subissant la débâcle post-industrielle n’est-il pas un chemin trop balisé pour établir ce portrait sociétal? Quelque part, et à mon sens, une histoire est universelle sans la justification d’une époque.Car cette époque n’explique précisément pas tout. Et l’histoire de Hacine et Anthony, même avec le contexte d’aujourd’hui et les nouvelles technologies, pourrait se dérouler sur des bases quasi-similaires.Alors, quand Nicolas Mathieu semble statuer sur ce mal-être contextuel, je me dis que ce n’est pas non plus une finalité évidente.Peut-être que si l’auteur avait provoqué le duel Hacine/Anthony, son récit aurait eu l’audace d’éviter les fuites ( bien pratique pour éviter de ne pas fâcher une catégorie de lecteur, de titiller sans se mouiller). Mais c’est peut-être cette volonté de ne pas trancher qui a plu à l’académie Goncourt, trop rassurée de ne pas couronner un livre trop proche du nihilisme assumé de Michel Houellebecq.Débat qu’on pourrait encore pousser en avant.Malgré tout, j’aime l’idée que l’auteur ait une vie à côté de la littérature et que ses expériences salariales lui donnent évidemment du matériau pour des créations littéraires.Ne m’en voulez pas Nicolas Mathieu mais la prise de position en littérature, cela a quand même de la gueule, du cachet.Et j’espère vous voir plus engagé dans un de vos prochains livres au delà du contexte et de ses raisons.

Specliseur
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le 14 févr. 2019

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