Lewis et Irène
7.9
Lewis et Irène

livre de Paul Morand (1924)

Lewis et Irène, ou plutôt Lewis contre Irène ; Lewis le financier, self-made man comme on en voyait prospérer dans les années 1920 contre Irène, belle hellène héritière d'un empire banquier et de toute la rigueur d'âme et de cœur qui l'accompagne.

Un homme contre une femme, tous deux placés sous le signe de la concurrence, qu'ils aimeraient pure et parfaite, naïve et sans accroches - car concurrence il y a, et Morand se fait un plaisir de filer la métaphore d'un bout à l'autre de son court roman. Et ces vocables économiques et entrepreneuriales, déroutantes quand on s'attaque à l'oeuvre, prennent dès lors tout leur sens quand enfin se forme le conglomérat lewiso-irènien. C'est en effet Lewis, comme une personnification avant l'heure de la start-up moderne, fougueux et sans peur du lendemain, qui est rapidement séduit par la toute puissance dégagée par l'hellène - il lui cédera rapidement ses parts, non seulement financières mais également amoureuses.

L'Amour il en est bien question ici, et le tour de force de Morand consistera à greffer la métaphore amoureuse au gré des fluctuations économiques, lui conférant un cycle de vie défini que l'on croyait propre au seul produit. Il s'amusera dès lors à multiplier les comparaisons entre les deux mondes, culminant, à l'instant même où culmine l'amour des deux protagonistes, au travers de ces doux mots d'Irène, probablement les plus douloureusement beaux du livre :
"Je suis si heureuse que je me demande si je ne devrais pas cesser de vivre. La sagesse serait de vendre à temps, avec tout son bénéfice."

Cet Amour en situation de monopole, Irène aura le mérite et la sagesse de l'avoir aperçu et d'avoir deviné, par son flair de femme d'affaires, que celui-ci, comme toujours, ne pouvait pas durer. Bientôt la concurrence, bientôt l'essoufflement, bientôt la vie qui reprend ses droits - ou plutôt la Bourse, les affaires, l'énergie déployée et dépensée que Morand oppose allègrement à la douce paresse des amants, à cet attentisme désinvolte que notre société a cessé de vénérer et de comprendre.
Bientôt il faudra vendre pour survivre, pour conserver ce qu'il nous reste d'amour-propre ; et Lewis, en malheureux prédécesseur des premiers krachs boursiers, se retrouvera ruiné d'avoir parié sur le mauvais cheval, celui de la Vie, celui de l'espoir - espoir de pouvoir, un jour, par les voies sensuelles, assurer une domination sur l'ogre capitaliste irènien.

Mais le capital, comme on aime tant à le caricaturer, reste infaillible et surpuissant ; aux jeux de l'amour et du hasard, la concurrence n'est malheureusement jamais pure et encore moins parfaite.
Mingus
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le 31 oct. 2013

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