Le mieux, c'est quand vous entrez dans un livre comme dans un lit douillet, et qu'il est tellement bien que vous ne voulez plus le quitter. Quand il m'arrive ce genre de chose (comme ça a été lé cas avec La Passe-Miroir par exemple), je sais que je pourrais lire des heures, voire des jours, sans m'arrêter.


Le dernier en date qui a eu cet effet bénéfique sur moi, c'est Lockwood and Co. de Jonathan Stroud aux éditions Albin Michel (LGF pour le format poche). C'est la deuxième fois que cet auteur de génie me donne du plaisir grâce à ses romans, concentrés d'aventure, de magie et d'humour.
La première fois c'était avec la Trilogie de Bartimeus, et j'en garde un souvenir très chaleureux.


Lorsque j'ai commencé Lockwood and Co., j'avais envie de légèreté : certaines lectures vous plombent un peu, coupant parfois l'envie d'ouvrir à nouveau un livre durant plusieurs jours / semaines / mois (entourez la mention correspondant à votre situation actuelle!). Il me fallait de la gaieté, il me fallait de la fantaisie, il me fallait de l'exaltation, et le tout en finesse !


C'est là où Jonathan Stroud, son humour pince-sans-rire, ses personnages spirituels et hilarants, et surtout son imaginaire inventif, entrent en jeu.


Lockwood and Co. est une agence de chasseurs de fantôme de Londres. Quoi de plus banal me direz-vous, dans une Angleterre où "Le fléau" sévit depuis près de quatre décennies et les agences d'exterminateurs de fantômes sont légion. Dans une ville comme Londres, le Fléau fait des ravages : la forte concentration d'habitants et son histoire millénaire en fait un lieu particulièrement susceptible d'être hanté par des spectres de morts violentes : assassinats, victimes de guerre, suicides. Or si certains fantômes se contentent de se lamenter sans ennuyer leur monde (une petit air glacial et quelques gémissements la nuit ne font de mal à personne) certains sont bien plus dangereux et peuvent à leur tour causer la mort.
Ce qui différencie Lockwood and Co. de ses grandes agences rivales ... c'est justement Lockwood et sa compagnie. Contrairement aux agences d'envergure ou gouvernementales qui emploient des enfants et adolescents mais donnent tous pouvoirs aux adultes (pourtant presque incapables de percevoir les apparitions spectrales) pour les superviser, Lockwood and Co. est une entreprise gérée par un gamin et qui n'emploie que des gamins. En fait, il ne sont que trois gamins : Lucy - notre narratrice -, vendue par sa mère dans sa plus tendre enfance à l'agence de sa petite ville afin de payer le loyer et débarquée à Londres pour oublier une tragédie douloureuse et sombre, George, le rat de bibliothèque gauche et flasque dont l'indolence n'a d'égal que l'irascibilité, et Anthony Lockwood, personnage charismatique, mystérieux et élégant que ses associés suivraient jusqu'au bout du monde, un génie dont l'audace mêlée d'insouciance a tendance à mettre son entreprise dans l'embarras...
C'est leur histoire que va nous raconter Lucy, celle d'une petite agence indépendante prête à affronter les spectres les plus menaçants pour continuer d'exister et faire de la capitale anglaise un endroit plus sûr pour ses habitants.


Sérieusement, je suis tombée sous le charme de ce trio improbable. La force de Jonathan Stroud, c'est son humour et sa galerie de personnages toujours très attachants. Lockwood est d'ailleurs un personnage très intéressant, on pourrait tout à fait le comparer à une sorte de Sherlock Holmes taille réduite, avec une intelligence redoutable et un goût prononcé pour l'énigme et l'aventure, et reléguant souvent au second plan la sécurité d'autrui pour mieux satisfaire son avidité. Lucy incarne quant à elle l'intuition et la sensibilité, ses dons de perceptions sont si forts qu'ils sont à la fois une bénédiction et un problème (ils peuvent aveugler son jugement). George quant à lui représente la réflexion et la prudence (certains diraient la couardise, mais George n'est pas lâche, juste très précautionneux), son humour grinçant et sa grande gueule cachent en fait une loyauté et un dévouement sans failles.
Lockwood, Lucy et George sont tout simplement trois personnalités fortes dont l'association fait des étincelles. La verve de Lucy, l'ironie insupportable de George et la nonchalance de Lockwood donnent lieu à des joutes verbales désopilantes et des situations cocasses qui m'ont fait mourir de rire. Et il faut le savoir, je ne suis pas du genre exprimer mes sentiments à voix haute pendant que je lis, plutôt du genre à garder un visage sérieux lors des passages les plus comiques, tristes ou effrayants, mais les répliques des personnages m'ont fait éclater de rire plusieurs fois durant ma lecture !


Et le plus improbable, c'est que Jonathan Stroud réussit à nous faire rire et sourire avec ses dialogues invraisemblables tout en instillant tout au long du roman une ambiance sombre et sinistre, celle d'une Angleterre hantée où les habitants s'enferment chez eux le soir venu en laissant les villes désertes, et où la nuit n'apporte que peur et cauchemars. Chaque description des affaires de Lockwood and Co. arrive à vous glacer le sang. Avis à ceux qui n'aiment pas les frayeurs : Lockwood and Co. arrive tout de même à vous donner la chair de poule ! Et c'est tout le génie de Jonathan Stroud : il nous fait penser qu'il s'agit d'un roman tout public avec des histoires de fantômes et des mômes comme héros, mais ce premier tome nous plonge dans une atmosphère bien plus lugubre qu'il n'y paraît, bien plus profonde et terrifiante qu'un joyeux Ghostbusters. Les trois personnages de Lockwood and Co. ont beau être des gamins (on ne sait pas exactement leur âge, mais il ne sont pas majeurs et peuvent encore très bien percevoir les fantômes, contrairement aux jeunes adultes) ils travaillent et affrontent des horreurs indicibles depuis l'âge de 5 ou 6 ans, et ils ont perdu leur innocence et leur enfance dans le processus. Bien qu'ils ne soient pas adultes, ils ont dû grandir à vitesse grand V et ne sont plus des enfants non plus, il côtoient la mort chaque nuit et ont une espérance de vie très réduite qui leur fait envisager le monde sous un jour différent.
C'est aussi cette fêlure que j'apprécie chez les personnages de Jonathan Stroud, chacun d'entre eux a très tôt vécu un drame traumatisant qui le rend vulnérable, mais qui lui a aussi permis de devenir meilleur dans son domaine et de continuer à avancer.


Enfin, Lockwood and Co. se dévore. Sa narration déconstruite menée par la pétillante Lucy rend l'intrigue encore plus mystérieuse et passionnante, et ce premier tome de L'escalier hurleur dévoile un fil rouge qui sera repris dans les prochains volumes de la série et qui nous laisse sur notre faim.


Je n'avais pas envie de quitter Lockwood and Co., mais je m'y suis forcée pour enchaîner avec d'autres lectures qui s'empilaient à coté de mon lit. Je sais que je lirai la suite de la série, parce qu'elle m'a vraiment plu. Ce sera comme d'enfiler un pyjama ultra confortable et se couler dans un lit bien moelleux, ce sera un plaisir à la fois exaltant et reposant : comme à chaque fois que je lis un excellent roman, il me fera du bien.


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le 21 avr. 2016

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