Lord Jim
7.7
Lord Jim

livre de Joseph Conrad (1900)

En ce début d'été, bien calée dans ma balancelle, les pieds dépassant au soleil, je me suis plongée dans la lecture d'un ouvrage dont le nom m'était familier mais l'histoire inconnue : "Lord Jim", de Joseph Conrad. La couverture (édition le Livre de poche, merci ma médiathèque) suggère une "aventure maritime" comme j'aime tant à en vivre par procuration pendant mes vacances, au gré des balancements du fidèle meuble de jardin, le bruit du vent dans les feuilles du cerisier juste au-dessus de moi. On se croirait presque sur le Pequod de l'oncle Achab, fusillé par son regard sombre, ou trimant sous les ordres du Loup des mers de Jack London, les mains usées par les cordes, les yeux piquants de sel marin, et dans le cœur et dans les muscles une douleur physique apaisante.

Et oui, c'est quand je profite le plus du repos annuel que j'aime voyager à la dure. Sur ma balancelle.

J'ai donc ouvert ce livre, persuadée de prendre la mer avec un équipage de bougres sympathiques et un héros, le mystérieux Lord Jim, dont le titre est en lui-même toute une aventure sous les tropiques. Or, il n'en fut rien. L'intrigue, volontairement obscurcie par des croisements de récits et de temporalités, s'épaississait de doutes et d'incertitudes, mais se déroulait obstinément sur terre - dans des ports, dans des tribunaux maritimes, certes, mais sur terre.
Et ce qui aurait pu être une déception s'est changé en harpon : harponnée je l'étais par les secrets qui entouraient ce jeune Jim, un homme, presque un enfant, engagé sur un navire par passion, égaré sur les mers et les côtes du Pacifiques, et qui semble poursuivi par une rumeur, une honte qu'il fuit.
Quelle est cette honte ? Pourquoi ce garçon blond, au regard clair, à la carrure volontaire, cherche-t-il à échapper à un passé qui le rattrape toujours inexorablement?

Parce que Jim, malheur à lui, est un romantique. Et lorsque le jeune homme romantique s'est retrouvé face à la décision la plus grave de sa vie, et face à ce qui était peut-être son unique chance de montrer ce qu'il vaut, il a malheureusement fauté. Réalisant qu'il n'est pas celui qu'il pensait (voulait) être, accablé des reproches muets de ses pairs marins et de sa propre déception, Jim est déjà un homme brisé alors que sa vie commence juste.

Ce long roman est une histoire de doutes et d'humanité : jusqu'où peut-on aller pour sauver sa propre vie, et à quel moment l'instinct de survie devient-il acte de lâcheté ?
Aussi une histoire d'honneur et de culpabilité : un homme qui a fauté peut-il regagner l'honneur qu'il a perdu seul ? Le pardon réside-t-il dans l'amour des hommes ou dans la rédemption que l'on s'accorde à soi-même ?
Et une histoire de mer et de courage : cette grande inaccessible qu'est la mer, toujours aussi belle pour cacher son caractère meurtrier, pardonne-t-elle ? Ce marin-né qu'est Jim, privé de sa raison de flotter, errera-t-il sur la terre toute sa vie, Caïn des océans pointé du doigt par des hommes fautifs eux-mêmes mais plus souples dans leur propre pardon ?

Le narrateur, Marlow, lui-même navigateur, écœuré et touché par l'histoire de Jim, remettra en question toute sa conception de l'honneur, de la jeunesse et du courage face à ce jeune homme bercé d'illusions mais à l'orgueil intact.
"Il est curieux de constater que nous traversons la vie les yeux mi-clos, les oreilles bouchées, la pensée en sommeil. Et c'est peut-être aussi bien ainsi, car c'est sans doute cette léthargie qui rend la vie si supportable et si précieuse à l'immense majorité des êtres humains. Rares pourtant sont ceux qui n'ont jamais connu l'une de ces exceptionnelles minutes d'éveil, ou l'on voit, entend, comprend si bien - tout, dans un éclair - avant de retomber dans une agréable somnolence."

Et sur ma balancelle, lectrice romantique nourrie d'aventures et d'idéaux imaginaires, j'ai enfin eu la chance de rencontrer un héros, un véritable Lord, pour qui le pardon est possible pour les autres mais jamais pour lui-même, et qui toute sa vie cherche à (re)devenir celui qu'il voulait être. Un homme, tout simplement.
Kogepan
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Créée

le 16 juil. 2014

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