Lord Seventh
Lord Seventh

livre de Priest (2010)

Mon expérience avec Lord Seventh a assez mal commencé. La complexité du récit et du vocabulaire employé pour le narrer avait un effet soporifique sur moi, et j'ai du lutter pendant un bon premier quart (c'est à dire une centaine de page) avant de pouvoir réellement en apprécier la lecture. Il y avait certes de bons moments çà et là, et la caractérisation vivante et nuancée des personnages correspondait bien à ce que je connaissais de Priest. Son humour caractéristique était aussi de la partie, et c'est en me raccrochant à ça que j'ai réussi à persévérer.


Et quelle récompense. Quelle expérience, quelle intensité, que ce soit dans le développement de ses personnages, dans la subtilité des descriptions, dans l'écriture de Priest (ou la traduction de Chichi). L'auteure sait écrire la cruauté; elle sait écrire toutes les nuances de la culpabilité, de l'amour, de la frustration, de l'ennui, tout ça avec subtilité et finesse, avec toute la délicatesse que peut offrir le mandarin. L'expérience (car c'est de ça qu'il s'agit) est poignante, intense, et m'a à plusieurs reprises fait frissoner. Je disais le contraire au début, mais j'ai hâte de le relire et de pouvoir en saisir encore plus de détails.



  • Petit aparté pour ceux qui viennent de Word of Honor et qui sont intéressés : si vous avez aimé les intrigues politiques de la série, vous serez servi. Si vous avez aimé Zhou Zishu, préparez votre estomac. Gardez juste bien en tête que WoH est une adaptation déjà plutôt libre de Faraway Wanderers, et que ses liens avec les événements de Lord Seventh sont d'autant plus ténus... mais les quelques liens qui subsistent prennent tout leur sens et gagnent drastiquement en intensité après la lecture ! -


Avant de me perdre dans plus d'éloges, je me dois de revenir sur ce que je vois être le point négatif du roman: c'est parfois vraiment dur à suivre. Peut-être est-ce dû au fait que ni l'anglais, ni le mandarin ne soient mes langues maternelles. Mais de ce que j'ai pu entendre d'autres lecteurs et lectrices, la critique est généralement assez unanime sur ce point: c'est compliqué à comprendre, on se perd dans les noms, dans qui fait quoi, qui soutient qui, qu'est-ce qui se passe.


Pourtant, l'histoire de Lord Seventh est, sous toutes les couches de sous-intrigues, de descriptions et de manigances, relativement simple : les trois fils de l'Empereur se disputent le pouvoir. Le plus jeune, qui a été désigné comme héritier de l'Empire par son père incapable, met en place sa stratégie afin qu'aucun de ses deux frères ainés ne parviennent à l'évincer. Le héros, Jing Beiyuan, le dit "7ème Lord", est à ses côtés afin de s'assurer que ses plans aboutissent, au moyens de machinations de plus en plus cruelles et impitoyables, à la hauteur de leurs adversaires.


Et grâce à ça, malgré la complexité de certains passages, il reste relativement aisé de retomber sur ses pattes, et de se dire "Ah, oui, d'accord, voilà ce qui se passe". Je me suis surpris à m'investir avec passion dans certaines sous-intrigues, malgré avoir saisi peut-être 30% de ce que j'en lisais. En plus de ça, l'auteur semble avoir partiellement conscience du problème : lors d'un passage assez comique, le fin stratège qu'est Jing Beiyuan explique un plan à l'un de ses alliés. La scène se déroule grossièrement comme suit :


Beiyuan : [explique]. Tu as compris ?
Jiuxiao : Non.
Beiyuan : ... Bon. [ré-explique].
Jiuxiao : ...Et qu'est-ce que je dois faire ?
Beiyuan : Après ma ré-explication, tu n'as toujours pas compris ?!
Jiuxiao : Non.


Moi non plus !! Ai-je pensé, paradoxalement très content de pouvoir partager cette expérience de confusion totale avec un personnage fictif.


Blague à part, c'est indéniable qu'il a fallu s'accrocher au début. Mais, je le répète, que de passages extraordinaires, que de moments poignants, de frissons... et beaucoup de rire, aussi. Une bonne façon d'équilibrer l'amertume ressentie lorsqu'on assiste à la transformation progressive de personnes jeunes et innocentes en manipulateurs sans pitié. Un bon répit à tout le malaise, à toute la morosité, à toute la frustration.


Pour terminer mon essai (haha), je souhaite mentionner le passage qui a donné son titre à mon avis.


Beiyuan tente de raisonner un de ses alliés qui a découvert les atrocités que Beiyuan lui-même et ses acolytes ont commis au nom du Prince héritier. Habituellement si calme et prompt à embellir les choses, Beiyuan le frappe, et lui demande s'il sait écrire le mot "conscience". C'est la première fois que le mot est mentionné dans le récit, malgré l'horreur des plans échafaudés par les protagonistes.


Rares sont les moments où les personnages expriment, en mots ou en pensée, leur ressenti. Plutôt que de décrire des choses évidentes, l'auteure laisse les personnages mentir au lecteur, se mentir à eux-mêmes, plongeant dans leurs mécanismes d'auto-persuasion et de distraction, tout en laissant des indices quant à leur comportement, à leurs expressions, à leur posture. La lecture de Lord Seventh a quelque chose d'humain, de subtil, et plutôt que de nous tendre la main, nous invite à observer et ressentir.


Aimer, vivre et survivre dans la capitale, au coeur des disputes de pouvoir, n'est pas chose aisée. Mais narrée par Priest (et traduit par Chichi), l'expérience est certainement viscérale et inoubliable.

bunhibe
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le 23 mars 2022

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bunhibe

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9

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