Ma reine
6.9
Ma reine

livre de Jean-Baptiste Andrea (2017)

Avec ce type de livres, de deux choses l'une : soit la magie opère et l'on garde du roman un souvenir lumineux, quelque chose qui relève de la beauté, de la pure poésie, ou bien, ça ne prend pas, le soufflé retombe et le roman ne produit au mieux que deux trois étincelles que l'on aura vite fait d'oublier.
J'avoue que lorsque j'ai découvert le sujet, l'histoire d'un petit garçon de douze ans pas comme les autres « Foudre de guerre. Génie. Lumière. C'était tout ce que je n'étais pas, on n'arrêtait pas de me le répéter », qui décide de quitter sa maison pour partir à la guerre et devenir un homme, j'ai eu très peur : le sujet me semblait risqué. Écrire du point de vue d'un gamin intellectuellement déficient peut donner des choses pas forcément très heureuses, on l'imagine aisément.
Alors, me direz-vous ? Eh bien, c'est réussi : le texte est vraiment beau, pur, sensible, d'une grande sensualité, il y a un je ne sais quoi du Petit Prince dans l'atmosphère un peu étrange qu'il dégage...
Comme je vous le disais, c'est l'histoire d'un jeune garçon dont on ne connaîtra pas le vrai prénom et qui sera surnommé Shell parce que ses parents travaillent dans une station- service. Nous sommes dans le sud de la France dans la Vallée de l'Asse, un peu au milieu de nulle part, dans les années soixante. C'est l'été, il fait chaud, Shell fume sa première cigarette derrière la station-service. Un peu secoué par sa première bouffée, il lâche sa cigarette sur un tas d'aiguilles de pin qui s'enflamme. Le soir même, il comprend en entendant ses parents s'entretenir au téléphone avec sa soeur qu'il sera placé et décide de partir, d'aller voir ailleurs, de l'autre côté du plateau.
Il souhaite devenir un homme et pour cela, il est persuadé qu'il doit faire la guerre. Il s'empare donc du fusil de son père et part. « A force de m'entendre répéter que je n'étais qu'un enfant, et que c'était très bien comme ça, l'inévitable est arrivé. J'ai voulu leur prouver que j'étais un homme. Et les hommes, ça fait la guerre, je le voyais tout le temps à la télé, un vieil appareil bombé devant lequel mes parents mangeaient quand la station était fermée. »
Pourtant, Shell aimait sa vie dans la station-service, les petits travaux qu'il y faisait, même si chaque jour ressemblait toujours beaucoup à celui de la veille : « Mes parents parlaient peu. A la maison, un rectangle de parpaings que mon père n'avait jamais fini d'enduire derrière la station, les seuls bruits étaient ceux de la télévision, et des mules de cuir sur le lino, du vent qui dévalait de la montagne et qui venait se coincer entre la paroi et le mur de ma chambre. Mais nous, on ne parlait pas, on s'était déjà tout dit. »
Le garçon décide donc de partir à la guerre. Très bien, mais… c'est où la guerre ?
Et si au lieu de la guerre, il faisait une autre rencontre, une vraie, une grande, si son chemin croisait celui d'une Reine, une vraie Reine qui l'aiderait à devenir un homme...
Ce texte m'a charmée par cette atmosphère étrange, onirique qu'il dégage. Le rapport de cet enfant au monde qui l'entoure est particulièrement bien rendu : en effet, Shell est à la fois étranger à ce monde et en même temps un élément de la nature qu'il traverse, à laquelle il se mêle intimement et dont il devient le coeur.
Il se donne, s'offre au monde sans compter jusqu'à risquer d'en perdre la vie. On peut parler même d'une espèce d'osmose entre le monde et l'enfant, magnifiquement rendue par les mots de Jean-Baptiste Andrea. Shell est le soleil, l'eau, la terre, la roche dans une espèce de sensualité folle et sans limites. Et c'est vraiment superbe.
Enfin, j'ai aimé la langue poétique, à la fois simple, comme l'esprit de l'enfant, et en même temps, révélant des beautés inaccessibles à nos yeux de gens dits « normaux », une langue qui permet au lecteur de retrouver son esprit d'enfance… Magique, non ?
Oui, incontestablement, l'enchantement a eu lieu, Shell devient à son tour un Roi, un Prince des éléments, de l'amour, du don de soi à l'autre, de la liberté…
Un conte initiatique poétique et lumineux dont je ne peux que vous conseiller la lecture !


Lire au lit : http://lireaulit.blogspot.fr/

lireaulit
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le 3 sept. 2017

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lireaulit

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