Bouuuuuuuuuuuuuuhhhhhh.... Si j'ai un peu de mal avec Tchekhov, que dire de Strindberg et de sa Mademoiselle Julie ? J'avoue que la lecture de la pièce m'a laissé un goût de déception très amer. Et quand je pense que Strindberg voulait inventer un théâtre moderne, face au théâtre de son temps qu'il trouvait moribond, je me dis que, bon, c'est bien joli, tout ça... mais qu'Ibsen, qu'il méprisait plutôt, a été bien plus inventif que lui. Car sur des thèmes qui se recoupent un tant soit peu (liberté individuelle, rapports hommes/femmes, société fin-de-siècle corsetée), Strindberg donne à mon avis en plein dans l'outrance un peu vaine, quand son aîné fait preuve de finesse et va beaucoup plus loin dans l'exploration des thématiques, notamment dans celle de la recherche d'émancipation individuelle. Mademoiselle Julie me donne bizarrement des sensations de lourdeur, alors qu'on l'a tant discutée, analysée, disséquée. Mais j'ai beau y réfléchir, je ne vois décidément ce qu'on y trouve de si talentueux.
Un lieu, une nuit (celle de la Saint-Jean), trois personnages : Julie, l'aristocrate, Jean et Kristin ses domestiques. L'une est en train de chuter, ou veut chuter, ou ne peut se retenir de chuter, l'autre veut s'élever socialement, la troisième garde sa place et dit s'en satisfaire. Julie va passer la nuit à jouer à un jeu de séduction, de domination, de répulsion, de soumission, avec Jean, pour finir par se suicider avec un rasoir. Alors on a vite compris le coup des rapports de force qui s'inversent entre maîtresse et domestique ainsi qu’entre homme et femme, et, même si on est pas très au fait de l'histoire de la Suède au XIXème, on saisit tout aussi vite que le jeu des personnages s'inscrit dans un contexte de bouleversement social. Ça pourrait être très intéressant, d'autres se sont frottés à ces sujets avec audace, bonheur, finesse... Mais ici, c’est d'une lourdeur !
Strindberg a fait de Julie une espèce d'hystérique dont on ne sait ce qui la motive, ce qu'elle cherche. Jean, même dans sa cruauté, est insipide, et Kristin n'est là que pour relayer l'opinion publique, à savoir qu'il faut être capable de rester à sa place. Et Julie de pleurer, de crier, de se lamenter, d'espérer, d'être aguicheuse, puis dégoûtée, passant d'un état à l'autre sans transition. Je sais bien que Strindberg connaissait quelques soucis dans son mariage à l'époque, mais qu’avait-t-il besoin de créer un personnage aussi outré ? Franchement, si c'était pour se venger de sa femme, à qui il a donné le rôle à la création, c'est pas un motif bien joli-joli... Le nadir, c'est l'épisode du serin : Julie s'est décidée à partir avec Jean pour bâtir des châteaux en Espagne, et veut emmener avec elle son serin : le seul être qui lui soit fidèle, selon elle. Oui, bon alors, partir avec une cage et un oiseau dedans pour voyager des journées entières, c’est pas bien malin, lui dit Jean. Et voilà que Julie se met à déclamer qu'elle préfère que Jean tue l'oiseau plutôt que de l'abandonner. Et hop, Jean coupe la tête de l'oiseau. Et voilà Julie qui crie "Il y a du sang entre nous !". Et ne veut plus partir (enfin ça, le coup de "Partons !", "Ne partons plus", ils vont le faire tous les deux un certain nombre de fois). D'ailleurs, dix minutes plus tard, la voilà qui dit dit : "Ne pensons plus au serin." (ou un truc dans le genre). Alors, franchement, j'appelle ça du plagiat. Un sale type qui enlève une jeune étourdie plus élevée que lui socialement, qu'il a séduite et qui, avant de se sauver à cheval avec elle, pend sa chienne à un arbre, ça ressemble quand même beaucoup à la scène du serin. Et c'est dans... Les Hauts de Hurlevent. Sauf qu'Emily Brontë a imaginé cet acte de cruauté de Heathcliff pour une bonne raison - Heathcliff, c'est le Mal, quelqu'un qui vit pour sa vengeance (pour faire vite), pas juste un mec creux qui veut monter un hôtel sans argent -, que ça s'insère parfaitement dans l'histoire, dans la psychologie des personnages et dans la structure du roman, et que ce n'est pas juste là pour nous faire entendre des hurlements pénibles à l'oreille, même lorsqu'on reste simple lecteur.
Strindberg admirait Zola : là-dessus, je n'ai aucun doute. De Zola, il me semble qu'il a finalement retenu surtout ce qu'il était le plus outrancier, le plus exagéré, le plus immodéré. J'aime Zola, mais c'est quand même le genre à en faire des tonnes. Mais bon, même quand ça m'agace, je me dis que ça colle bien avec son projet des Rougon-Macquart. Dans le cas de Mademoiselle Julie, je ne saisis pas l'intérêt d’en faire des tonnes. Je l'ai dit, je préfère lire Ibsen, que je trouve tellement plus fin. De même, je préfère La ronde de Schnitzler, pour son côté bien plus subversif, ou Anatole, du même Schnitzler, plus fin, lui aussi, lorsqu'il aborde les rapports homme/femme ou les rapports entre les classes sociales. Non, décidément, ; je n'aime pas Mademoiselle Julie !