C'est sous le coup d'une grande et terrible émotion que j'achève la dernière ligne de Martin Eden ...
Et j'ai envie de crier : pourquoi ? pourquoi, Martin ?
Souviens-toi de ce jour qui allait tout changer, de ce jour où, mal dégrossi encore, un peu rustre, tu as pénétré pour la première fois le domicile douillet de la famille Morse !
Tu revenais de la mer, de cette mer que tu as parcourue tant et tant de fois en quête de quelques aventures à l'autre bout du monde mais aussi d'un peu d'argent, faut le dire !
Tu t'es retrouvé au beau milieu d'une bagarre...
et quelques heures après, tu étais au beau milieu de la maison bourgeoise des Morse
Souviens-toi de tous ces tableaux qui ornaient les murs de la maison, de ce confort auquel tout homme devrait avoir accès et de l'impression fabuleuse qui s'est dégagée dans ton cœur quand pour la première fois tes yeux se sont posés sur Ruth !
Dès ce jour, ta vie a basculé ...
Tu ne dormais plus que cinq heures par nuit tant tu voulais tout apprendre, tout savoir, tout lire, tout découvrir ...
Un flot de vie s'était emparé de ton esprit et tu n'étais jamais rassasié
L'amour te poussait à te surpasser, à t'élever !
Tu n'as pas eu peur de la faim, tu préférais écrire en sachant qu'un jour ça payerait et que tu te rendrais digne de Ruth
Mais ton milieu social te rattrapait toujours aux dires de certains ! et ça, c'était inconcevable ...
Tu avais beau en savoir toujours plus, être brillant comme personne, tu ne serais jamais rien d'autre qu'un petit homme appartement à la classe ouvrière ...
Et c'est là que le tableau devient d'une noirceur insoutenable ! tu croyais tant à la liberté ...
Alors moi, je n'aurais jamais pu imaginer comment tout cela allait se terminer tant je t'aimais bien !
Tu peux peut-être entrapercevoir alors quelle ne fût pas ma surprise, mon émotion, mon choc, quand, toute chamboulée, je lisais cette dernière ligne ...