John Stolker est un adolescent, fils d'un père riche à la tête d'un grand groupe industriel. Il fait partie d'une caste considérée comme privilégiée dans ce futur peut-être lointain: les "justes", un groupe social qui regroupe les individus les plus fortunés de la planète Terre. Mais John n'a que peu de considération pour tout cela. Haïssant son père absent, il rejette cette société aseptisée qui veut lui masquer ce qui se passe à la surface et qu'il aperçoit lorsqu'il se rend au lycée en jet: des guérillas violentes entre sous-castes qui subissent les attaques de vautours géants. Il trouve refuge dans la drogue et la luxure, jusqu'au jour où il franchit le pas et quitte sa caste pour celle des guérilleros. Laissant éclater sa violence et son nihilisme, il deviendra un boucher, complètement camé, et guidé par une divinité fantasmée lui apparaissant dans ses trips: l'éléphant géant Meddik.
Sans que je puisse l'expliquer, il y a des lundi matin où j'ai besoin de noirceur. Dure et épaisse. C'est généralement le moment de dégainer un Di Rollo. Et avec Meddik, je dois dire que je fus servi. Les premières pages, qui décrivent l'adolescence de John Stolker, laissent présager le pire pour la suite: une société complètement clivée, un "héros" nihiliste, qui rejette tout... On pourrait croire aux éternelles rebellions adolescentes mais cela va plus loin. Un point de non retour est passé lorsque John Stolker est irrémédiablement choqué de voir son père et ses ingénieurs/commerciaux faire la démonstration de leur dernière invention à traiter les déchets. Celle-ci happe une masse d'ordures et quatre personnes qui se trouvaient là au passage, sans que les témoins s'en émeuvent. Cynisme de caste encore incompréhensible au jeune homme. Dès lors John aura la certitude que ce monde ne vaut rien, voir que la mort est la finalité de chacun.
Il quitte sa caste pour la guérilla, et à partir de là devient un véritable boucher, je le répète. Sans foi, ni loi, il se drogue et assassine. Il finira par devenir tortionnaire, une situation qui lui convient parfaitement. Avec son assistante muette, dont il exige les faveurs chaque matin avant de commencer sa besogne, il torture cruellement des individus issus d'une autre caste, toujours complètement perché grâce à des drogues toujours plus violentes, guettant les apparitions de Meddik, dont il cherche, respectueusement, l'assentiment.
Ce qui frappe avec Meddik c'est la transposition immédiate du cadre avec notre monde actuel. Il n'y a pas besoin de chercher longtemps pour identifier ces groupes sociaux, cette Terre polluée au delà d'un point de non retour et un malheur généralisé. Cela fait naître un malaise poignant, parfaitement servi, comme toujours, par le style froid et implacable de l'auteur. Il n'y a aucune excuse nulle part dans le comportement de quiconque: qu'il s'agisse des Justes, insupportables privilégiés qui ont décidé de se couper du monde dans leur bulle ouatée, des guérilleros qui continuent une guerre sans raison ni but et de John Stolker: écartelé entre contradictions assumées il continue son travail de bourreau, réfugié dans un mysticisme inspiré par les vapeurs des "paradis" artificiels.
Ainsi, tout semble avoir dérivé et suit un chemin dérangeant: la gratuité, l'absence de logique et pire encore l'absence d'humanisme. Ce monde est sombre et noir, au sens propre comme au figuré mais aussi parce que l'esprit des Lumières y est complètement absent. C'est sans doute cela qui me fait le plus frémir. Et c'est cette transposition avec notre monde d'aujourd'hui qui est le plus à redouter.
Un roman fascinant, et d'une violence extrême. Qui frôle les limites du supportable dès qu'on le referme et qu'on commence à y réfléchir, au regard de ce que devient notre société actuelle. Meddik, au travers des yeux d'un personnage désabusé, contient une réponse à la question: à quoi ressemblerait une société sans humanisme ?