Un roman possède plusieurs paliers auxquels le lectorat se réfère afin de déterminer si l'œuvre leur plaît et si le jeu en vaut la chandelle d'aller au bout. Parmi le célèbre cap des 100 pages, il y a aussi celui de l'introduction et de son pouvoir d'attraction sur le lecteur. En une poignée de mots et une volée de pages, l'auteur détermine son intention, son style, sa pensée, et peu d'ouvrages peuvent se targuer d'avoir des accroches prometteuses alors que l'on a à peine soulevé la couverture.
Pourtant, le sixième roman de Martine Desjardins, Méduse, offre une introduction captivante à la hauteur du reste des 200 pages.
"Je n'ai jamais versé une seule larme de ma vie." annonce le personnage principal, Méduse. Jeune fille à l'existence similaire d'une certaine Carrie, leur bal du diable prend cependant des trajectoires différentes, malgré la similitude de leur vie agrémentée de brimades et d'humiliation quotidienne.
Si l'une tente de vivre sa vie de lycéenne malgré une domination matriarcale toxique au sein de sa propre famille, l'autre, notre chère Méduse, se retrouve bannie de la société pour être enfermée dans un institut de jeunes filles déformées. En effet, il s'avère que son surnom n'est pas gratuit, venant de ses yeux suintant le Mal à grandes larmes et devant être caché au reste du monde.
Alors que toutes deux déparent le lustre familiale, contraintes à cacher leur pouvoir aux yeux des autres et à subir les arranges d'une société anxiogène, nos deux femmes cachent au fond d'elle une envie de révolte qui gronde de jour en jour...
Le style riche de Desjardins se conjugue à la richesse métaphorique de Méduse, symbole d'une féminité cachée et d'une sexualité bridée face au regard des autres. Libérateur et jouissif, Méduse se lit d'une traite et alterne les seynettes au sein d'un univers obscurantiste duquel tente de se dépêtrer la jeune fille attendant de devenir femme.
En roman gothique moderne qu'il est, Méduse aborde la quête d'émancipation et la force dévastatrice du harcèlement avec plus d'efficacité que Carrie ne l'avait fait en son temps, et s'érige en rejet de notre époque.
"Neptune
La souilla, narre-t-on, au temple de Minerve.
La déesse offusquée voila de son égide
Sa chaste face, et pour punir cet attentat
En hydres transforma les crins de la Gorgone,
Et ces serpents nés d'elle encor la barricadent,
Frappant ses ennemis d'horreur et d'épouvante."
Les Métamorphoses, Ovide