Mélancolie
7.1
Mélancolie

livre de Hélène Prigent (2005)

Pas évident d'écrire sur cet ouvrage, publié en 2004 à l'occasion d'une exposition sur la mélancolie à Paris, au Grand Palais... Il est riche, on y apprend pas mal de choses, ça oui. Mais il est impossible à résumer, complexe, voire inutilement compliqué, et ne correspond guère à ce qu'on attend d'un livre de la collection découvertes Gallimard : un livre pour le plus grand nombre, qui aborde le sujet de façon claire et concise, afin que les novices, les non-initiés puissent y avoir accès. Mais Hélène Prigent ne semble pas avoir très bien compris la nature de la commande qu'on lui avait passé. On se retrouve donc avec un ouvrage érudit, mais bien trop court pour que soient suffisamment développés les thèmes complexes attachés à l'histoire de la mélancolie. Car il faut s'accrocher pour comprendre les rapports qu'entretient la mélancolie avec l'imagination, la mémoire, le regard, le concept de l'acedia, etc. Les raccourcis sont nombreux et l'auteure tient pour acquises certaines données : il est évident pour elle, par exemple, que le lecteur connaît suffisamment Platon pour ne pas s'attarder plus d'une ou deux secondes sur sa théorie des idées. Aucun effort n'est consenti pour s'adapter au public.
Pour démonstration, je vais prendre le chapitre consacré au romantisme, qui est la période, le mouvement que je connais le moins mal. Il faut en arriver à la fin de ce chapitre pour qu'Hélène Prigent se décide à se montrer un tant soit peu précise (et encore) sur les buts du mouvement romantique. Auparavant, elle reste dans le flou le plus total, à grands renforts de métaphores. Les métaphores, c'est très joli, les Romantiques aimaient effectivement beaucoup en utiliser, mais dans un ouvrage d'initiation consacré au concept de la mélancolie, ça ne sert qu'à porter la confusion dans le cerveau du lecteur, voire à masquer les insuffisances de l'auteure. Et pour ce qui est de certains tableaux mentionnés, je reste assez sceptique sur l'analyse qu'elle en donne. Je pense notamment à cette assertion selon laquelle La mort de Sardanapale de Delacroix se situerait à l'opposé du Saturne dévorant l'un de ses enfants de Goya. Le tableau de Goya relèverait d'une vison imaginaire et irréelle, le tableau de Delacroix serait donc d'une veine plus "réaliste". Le problème, c'est que ce qui est justement frappant dans La mort de Sardanapale, c'est l'impossibilité d'identifier les différents plans du tableau, ou de discerner si la scène a lieu dans un intérieur ou à l'extérieur. Dans le genre "réaliste", même avec des guillemets, on fait mieux (et puis bon, taxer Delacroix de réalisme, ça frise l'insulte). Plus loin, l'auteure fait de Sardanapale une figure typiquement mélancolique ; étant donné la pose que le personnage prend (la tête appuyée sur la main, pose typiquement mélancolique), en effet, c'est une théorie qui se tient. Mais alors, l'aspect cauchemardesque, au sens de vision de cauchemar, saute aux yeux. Si Sardanapale est du côté de la mélancolie, c'est à la façon de l'acedia (et voilà que moi aussi je deviens incompréhensible), c'est-à-dire à la façon de Saint Antoine assailli et tenté par les illusions provoquées par le diable. On est donc en pleine vision surnaturelle, et le soi-disant aspect "réaliste" du tableau tient encore moins qu'auparavant.


D'autres manquements sont à noter : le vingtième siècle est très peu évoqué, on ne parle pas de la dépression, en tant que maladie ou pathologie (alors que le terme apparaît dans le sous-titre de l'ouvrage), de la position de la société face à la dépression au vingtième siècle. Et le tout manque cruellement de références à la musique, qui, il me semble, a autant exploré la mélancolie que les arts plastiques ou la littérature. Et d 'une manière générale, il est malaisé de comprendre comment s'établissent les glissements d'une époque à une autre, d'une approche de la mélancolie à l'autre au cours des siècles. Mais c'est là un problème vraisemblablement difficile à résoudre, car présent dans nombre d'essais consacrés à l'histoire culturelle.


Je ne voudrais cependant pas donner l'idée que le livre est à jeter. On y comprend bien que deux pôles sont indissociables de la mélancolie, le négatif et le positif, la maladie effrayante et la source de la créativité, voire du génie. On arrive à suivre les méandres de l'histoire de la mélancolie, bon gré mal gré, et je crois qu'on peut y trouver certains éléments susceptibles de nous éclairer sur les arts plastiques, la littérature, mais aussi sur le regard que porte aujourd'hui la société sur ce que nous nommons aujourd’hui dépression. il me semble que le passage le plus intéressant porte sur la célèbre gravure de Dürer, Melecolia I, au sens si mystérieux à première vue. Mais tout ça est quelque peu gâché par le manque de pédagogie de l'auteure. Tout du long, j'avais en tête la phrase de Boileau : "Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément." Car c'est à croire, par moments, qu'Hélène Prigent a mal digéré ses connaissances sur la mélancolie. C'est très curieux qu'on puisse avoir cette sensation à la lecture d'un ouvrage qui ne peut tout de même pas avoir été rédigé par la première venue !

Cthulie-la-Mignonne
6

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le 24 mars 2016

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