"Perhaps my curious indifference to success will be more understandable if I explain that the driving force of my life has always been laziness; to practice this, in reasonable comfort, I have even been prepared, from time to time, to work". (Mon indifférence au succès fera plus sens si j'explique que le fil conducteur et moteur de ma vie a toujours été la fainéantise; pour la vivre, dans un minimum de confort, j'ai même été prêt à, de temps en temps, ...travailler)
George Sanders est un acteur que je ne connaissais qu'un peu et surtout pour le chef d'oeuvre 'L'Aventure de Mme Muir' (découvert en salle, jamais oublié, beaucoup revu).
Je n'ai pas arrêté de sourire, voire glousser, à ses mémoires et surtout manière de les partager (lues aux éditions Dean Street Press, "Memoirs of a professional Cad"; dont je préfère la photo de couverture).
Même quand je n'étais pas trop d'accord ou pas trop intéressé, il réussissait à me faire sourire par sa manière de s'exprimer et certaines vannes moqueuses ( surtout envers lui d'ailleurs).
Je ne crois pas que ce soit toujours de la fausse modestie...
Dans sa manière de parler de son métier, il me rappelle, entre autres, un mélange de Robert Mitchum, Olivier de Kersauzon, Jean-Claude Brialy, John Waters et Chandler de Friends dont il a d'ailleurs un peu la tête.
Il a la capacité de distraire et maintenir mon attention , qu'avaient par exemple Peter Ustinov ou David Niven en interviews (notamment dans les émissions de Michael Parkinson; mort à 88 ans cette année 2023).
Je ne savais par exemple pas que Sanders était d'origine Russe et que sa famille a perdu toute sa fortune à cause des communistes: ça m'a fait repenser à la famille du Prince Philip qui avait aussi dû fuir des assassins de Grèce, le cachant encore bébé dans une cagette d'oranges...il s'est aussi toujours rappelé de ces années suivantes comme "réfugié" chez des proches en Angleterre les hébergeant comme des rescapés. Cuisant... souvenir.
En autres détails:
- Fortune refaite (en partie), George Sanders fait beaucoup allusion à son majordome qui lui ouvre ses valises, fait ses valises, défaits ses valises...j'ai visualisé Jeeves ou James Cromwell dans The Artist (qui est aussi employé par un acteur).
- Mon passage préféré est lorsqu'il raconte les différents psychiatres qu'il a eus. Mon passage le plus émouvant est sa manière d'apprendre la mort de son collègue qu'il aime tant et avec qui il venait juste de rire et tourner une scène: Tyrone Power
- Sa jeunesse dorée et très très sportive en Russie, avait comme bande son "la balalaika" dont jouait son papa.
- Il avait un oncle qui "étalait du jambon au plafond" puis bien sûr tirait à la carabine sur les mouches ainsi attirées...les domestiques le fournissaient "en champagne et munitions"... en fuite, il est devenu "un pique-assiette professionnel" dans les maisons l'invitant mais où il a été de moins en moins bienvenu...alors il a commencé à visiter "d'autres maisons moins fréquentables", pour finir par mourir "de syphilis sur (bien sûr) la Côte d'Azur" en France...
- Sanders a eu un autre oncle, en fuite aussi, qui s'est lui mis à jouer de "la contrebasse dans les cinémas en Finlande", puis il est devenu (bien sûr...) "professeur de biologie en Suède".
- ...et il mentionne un autre oncle qui lui a appris à chanter, pendant qu'il perdait son dernier emploi salarié...d'ici là, "I had developed a resonnant bass-baritone voice". Voix qu'il utilisera lors d'une fête, à un piano où un producteur le remarque et l'engage pour sa première fois; il est vite viré mais fera un stage pour la BBC où il apprend "à lire des dialogues"...
- ...puis il joue un second rôle dans une pièce où il chante, joue de la guitare lors d'une scène de prison..."King's ransom avec Dennis King et Jeanne Aubert" (que je découvre Française).
- Sa famille dilettante n'avait pas vu venir Lenine les piller de leur argent...ils ont quasi tout laisser derrière eux: "They were incapable of believing that anything serious was happening"...ce qui est tellement actuel et me fait penser à moi et nos populations distraites par les jeux et la bouffe...les séries et les sites internet comme SC... 'une population qui se laisse aller, se contente de se nourrir et de se divertir sans se soucier d'enjeux plus exigeants ni du destin collectif ; avec un pouvoir qui exploite cette tendance par la promotion de programmes court-termistes' : _"incapable de croire que des choses graves se passent" commenterait George Sanders.
- Une n-ième et dernière école et des profs l'avait convaincu qu'il était "bête et sans valeur"...ce qu'il semble avoir gardé en partie sa vie. Par exemple, il pense que le spectateur moyen ne sait pas "faire la différence entre un bon acteur et un bon rôle. L'acteur est souvent félicité, quand plus souvent qu'on ne le croit, les louanges devraient aller à l'auteur." Bel hommage à d'autres que lui. Il rendra aussi un immense hommage aux chanteurs qu'il trouve avoir plus de mérite que les acteurs, qui peuvent mieux faire semblant et faire la fête (il le dit mieux et différemment). Il a été chanteur dans des fêtes, devant et derrière des orchestres, et des comédies musicales où il prétend pour l'une d'elles, qu'aux saluts à la fin, les applaudissements s'arrêtaient quand il s'avançait...
- Il a été représentant en cigarettes dans des pays d'Amérique du Sud: il a perdu beaucoup d'emplois; j'ai eu du mal à croire toutes ses aventures et idées marketing (il aurait parachuté des centaines de paquets dans zones éloignées à l'aide de petits parachutes dessinés par lui et confectionnés localement "par des centaines de femmes" qu'il a "embauchées"... etc.). Montrer un paquet donnait aussi une entrée gratuite à des spectacles qu'il organisait.
- Il pense que pour bien profiter de la vie, il faut connaitre "des périodes de manque de confort". Une sorte de philosophe sans le savoir.
- Il a été témoin que la prostitution était "légale en Argentine": dans des maisons closes, il a même vu "des salles d'attente avec magazines"..."il n'est pas étonnant que l'esclavage et trafic de femmes blanches était si actif ces jours, tant la rotation du personnel et chiffre d'affaires s'approchaient de ceux de General Motors"(sic).
- Au sujet du tango, si "la danse n'est pas intéressante", "sa musique est la plus émouvante" qu'il n'a jamais écoutée.
- Il a presque tué un homme qu'il faisait cocu avec sa fiancée..."la balle lui a traversé le cou"..."je n'ai jamais possédé d'arme depuis"...il raconte en avoir fait de la prison où il veut me faire croire qu'il a vu un adolescent "en attente de procès" depuis des années et sans doute "oublié par le système", attraper des rats (qu'il attirait avec du fromage)...au lasso. L'ado au lasso attrapait des surmulots?!...
- Viré de son emploi suite à ce séjour en prison, il est aussi expulsé d'Amérique Latine...et comme souvent dans les bio d'acteurs, c'est une fille (belle "rouquine", du service "marketing") qui faisait du théâtre et qui l'a poussé, lui, à venir, puis lire un de ses textes.
- cette catalyseur/se de sa carrière est une nommée "GREER GARSON"...
- ...je vois après que cette 'Greer Garson', à qui il doit son début de carrière, a joué dans des films d'un "Jean Negulesco" que Sanders décrit comme étant le meilleur fêtard et "organisateur de soirées"!...
- Ce Jean Negulesco avait d'immenses "propriétés à Beverly Hills: une pour contenir sa collection de tableaux de Bernard Buffet et l'autre, sa collection de gilets". Heureux des deux, et aussi fier de montrer l'une que l'autre...il ajoute que ce Negulesco cuisinait lui-même pour ses fêtes des "plats roumains méconnaissables" fortement assaisonnées dont "le seul remède" était alors de boire un alcool fort...au point que tous les invités étaient très vite transportés jusqu'aux petites heures du matin, où on ne pouvait alors plus "les différencier des tableaux gris décharnés de Buffet les entourant"...
- en name dropping, il ajoute que la maison de Joseph Cotten semblait sur le point de tomber des hauteurs de Santa Monica et la maison de Ronald Reagan était pleine d'électronique...
- il me fait découvrir la belle Rosalind Russell dont "toute la maison était d'or et blanc" immaculé.
- il me fait découvrir une autre organisatrice "de grande fêtes", Ouida Rathbone, qu'internet s'obstine à vouloir appeler Ouida Bergère quand j'en cherche des infos: elle "téléphonait aux femmes de ses invités pour les pousser et forcer à acheter une nouvelle robe" pour sa soirée à elle! Sanders le mentionne pas mais elle semble avoir été une scénariste demandée.
- Son tout premier rôle sera de jouer "un des dieux dans 'The man who could work miracles': ..."Le rôle a exigé que je sois à califourchon à moitié nu et tout brillant de graisse, à quatre heure du matin pendant un des hivers les plus rudes Anglais, sur un cheval aussi couvert de graisse"...des trois acteurs jouant "les rois huileux", "je suis le seul à ne pas être tombé"...déjà une carrière "couronnée d'un succès"...
- ...à cette occasion il me fait découvrir ses deux autres partenaires huilés dont il se révèle un meilleur cavalier: Torin Thatcher (qui a joué dans StarTrek) et Ivan Brandt (dont un homonyme sur Instagram semble passer en contrebrande des perruches cachées dans son maillot de bain...).
- Son "second film", selon lui, fût Strange Cargo/Le cargo maudit où je ne le vois pourtant pas listé (film de Frank Borzage? sans doute une autre version alors) et "le troisième", Dishonnor Bridge (où il n'est pourtant pas listé non plus)...il me fait alors découvrir son partenaire, Tom Walls. Les studio (British and Dominion Films) ayant pris "le risque" de lui donner un contrat, ont finalement brûlé. "N'ayant alors rien à faire, je suis allé à Hollywood" où "mon contrat légèrement roussi" est racheté par la 20th Century Fox qui l'engage dans Lloyds of London/Le Pacte avec Tyrone Power, que je découvre d'Heny King (je remarque que George Sanders cite rarement les réalisateurs et plutôt ses partenaires):
"I had had since the beginning a profound sense of unreality about my newly acquired profession which the atmopshere of Hollywood did nothing to dispel. I never really thought I would make the grade. And let's face it, I haven't."...c'est un passage que je trouve très émouvant...ce que je comprends est qu'il trouve sa progression dans le métier comme irréelle, surréaliste et Hollywood ne l'a pas aidé à évacuer cette impression de rêve-éveillé (on se croirait dans un David Lynch)...il semble n'avoir jamais pensé qu'il "ferait l'affaire" aux yeux du système, qu'il serait "à la hauteur"; il conclut à tort à mon avis par : "Et soyons honnête, je ne l'ai pas été." Il pense aussi qu'il a commencé "10 ans trop tard".
- il prétend que des producteurs étaient déjà très inquiets de ne pas froisser des gens mais pas pour des raisons woke mais pour des raisons de marketing: il donne l'exemple de ses rôles de méchants où ses producteurs/auteurs ont du mal à leur donner une profession, par exemple de vendeur, car ils reçoivent alors des plaintes de vendeurs leur disant que la plupart ne sont pas méchants...("c'est d'ailleurs ouvert au débat") . Cependant, les producteurs, yeux rivés sur les entrées, cherchent à "plaire à tout le monde"...c'est pourquoi un de mes producteurs a fait d'un de mes méchants "un trayeur professionnel de rennes"...laissant peu d'Américains avec "une raison de s'en plaindre".
- vu son physique avantageux, il aurait rêvé jouer plus d'amoureux romantiques mais c'est fait à l'idée qu'on l'a beaucoup réduit à jouer beaucoup de méchants...au moins, il pense s'en être mieux sorti que l'acteur Laird Cregar dont le physique considéré de "monstre sous humain" l'a enfermé dans des rôles d'ordures...les maquilleurs lui disaient: "Nous vous voulons juste comme vous êtes, Mr Cregar"...finalement ce Cregar achète les droits d'un livre bien différent de ses rôles habituels avec un "jeune homme plutôt gentil mais avec quelques problèmes psychologiques" mais son studio employeur en fait de force un "pianiste fou, pyromane, violeur et tueur"...à contre-coeur, pressurisé par le studio, Cregar joue finalement ce rôle de la manière déformée et "reforgée" pour son physique. Mais au "premier jour de tournage" de ce Hangover Square , il "confesse" à George Sanders que c'en est fini...que c'est la goutte qui fait déborder le vase...il va "subir une opération" pour changer son regard puis faire d'autres opération et perdre du poids...il est rentré dans une clinique où il "s'est littéralement tué dans un régime" drastique.
- un autre de mes passages favoris est quand il se plaint et décrit les différentes sortes de fâcheux sabotant des spectacles par leurs bruits et autres ..."ceux qui applaudissent entre les mouvements d'un concerto....ceux qui ont leur théorie qu'il n'y a rien de mieux qu'une soirée au théâtre pour soigner une toux violente ...ils ne sont pas toujours tous Américains"...que penserait il des dégénérés et de leur portables éclairés en salle de cinéma?... pas toujours les même homoncules qui écoutent de la musique sans casque dans la rue ou dans trains.
- il ne s'est pas présenté à une invitation donnée par rien de moins qu'un faiseur de stars...l'énorme producteur qui avait lancé la carrière du chien Lassie...refuser un repas avec Louis B. Mayer est suicidaire: "He had achieved this much for Lassie, and I imagine, was now disposed to take on something more difficult, namely, me. Though I can state with undue conceit that I have more sex-appeal than Lassie, I doubt wether I would have been as rewarding a proposition for Louis. For one thing, I doubt I am as good an actor as Lassie..." Sanders pense être plus beau que Lassie mais moins bon acteur que le chien...il n'est pas allé au rendez vous de Mayer...(J'étais) "trop occupé à monter mon télescope dans mon jardin, et à suivre ma vocation de dilettante".
- "...telescope que j'ai vendu à Universal qu'ils ont utilisé avec moi dans L'oncle Harry"...que je découvre de Robert Siodmak (qu'il ne cite pas; son résumé au sujet de la jalousie, me rappelle 'l'Enfer' de Chabrol)
- Sanders a surtout joué des méchants, souvent des "nazis criant et à monocle". Un producteur têtu et très "borné" exige qu'il en porte au méchant suivant...Sanders tente alors de lui expliquer que c'est peut-être anachronique mais en vain... "Je fus donc le premier Pirate à monocle du cinéma"...