Après une lecture assez récente de l'Étranger, j'ai décidé d'entamer l'autre face de cette enquête. Avec les souvenirs frais de ma précédente lecture, j'ai découvert une œuvre bourrée de références au monument de Camus (exemple : Ma mère voulait interroger le meurtrier, mais il était enfermé et ne parlait plus qu'à un bout de journal) . Dans un style allusif, le roman se veut être le frère caché de " l'Étranger ", son alter-ego, son double maléfique, l'autre face du miroir... et il mène sa mission d'une main de maître.
Il s'inspire du " roumi " (Appellation arabe donnée au " Français ") en adoptant son style de phrases simples, ses descriptions tellement détaillées qu'on se croirait marcher à côté du personnage, et surtout, ose lui tenir tête en donnant une identité à son Arabe, Auquel Albert n'a jamais daigné octroyer un nom. Et d'ailleurs, le choix des noms n'est pas anodin (l'onomastique), si l'Arabe de Camus s'appelle Moussa (Moise), et son frère Haroun (Aaron), ce n'est certainement pas par hasard. Haroun (Un vieux dans un bar d'Oran) a pour mission de donner de la voix au message de son frère Moussa " Dieu choisit Moïse pour libérer « son peuple ». Mais Moïse hésite, demande de l'aide : il n'est pas « doué pour la parole ». Cette « aide », ce sera Aaron. Dieu rassure Moïse : « Tu lui parleras et tu mettras les paroles dans sa bouche (ex 4:15) (....) Il parlera pour toi au peuple; il te servira de bouche (ex 4:16) " Il vit dans son ombre, se décrit comme un spectre qui a pour mission de faire connaitre au peuple son frère mort dans l'anonymat (Le peuple ici, c'est nous les lecteurs).
Là où repose l'ingéniosité de cette œuvre, c'est qu'il fait le contraste avec l'Étranger en jouant sur la lumière, comme pour dire que son roman est l'autre face de la pièce, celle que le soleil n'atteint pas. Le Roumi (Joseph Larquais, la victime qui bénéficie d'une identité, contrairement à certains) est en effet tué à cause de l'obscurité intense qui prend notre messager dans son étreinte.
Il qualifie la langue française de " bien vacant ", c'est un butin de guerre que l'Arabe s'approprie et mélange avec sa langue et sa culture pour donner une identité à l'écriture algérienne, en parsemant des termes dialectaux dans son récit, là où le Français va se sentir Étranger dans sa propre langue.
Kamel Daoud fait preuve d'une audace sans précédent en touchant à un classique que nul autre n'avait osé, ou n'avait eu l'idée de défier avant lui, et ça, c'est tout à son honneur.