Minuscules flocons de neige depuis dix minutes par Nébal

Suite de mon périple au pays merveilleux des jeunes pousses de l'imaginaire franchouille : après Damasio, un Calvo, sinon rien. (Pardon.) C'est-à-dire un autre de ces jeunes auteurs (Daylon, l'illustrateur de la chouette couv' de ce roman, a promis des bouffes à qui parlerait encore de « jeune auteur » pour désigner Calvo, mais merde, quoi, à 33 ans on est encore jeune, non ? Voyez le hippie à la filiation ambiguë de Nazareth, ou Camille Desmoulins – remarquez, z'ont mal fini, tous les deux...) à propos desquels il est super tendance de dire beaucoup de bien, ou beaucoup de mal, au choix, la modération étant nécessairement signe de déficience intellectuelle. Alors, Calvo, génie injustement razzié, ou raté injustement publié ? Je voudrais bien me forger une opinion, histoire de pouvoir à mon tour briller dans les salons virtuels (bon, c'est pas pour tout de suite, hein...). J'exclue d'emblée les collaborations Calvo – Colin, mais il reste quand même un certain nombre de bouquins porduits par le Monsieur tout seul ; finalement, j'opte pour ce Minuscules flocons de neige depuis dix minutes, parce que :

1° Ca, c'est un chouette titre, ma bonne dame, long, énigmatique, et qui en jette.

2° La couverture est jolie (mais ça je l'ai déjà dit).

3° On en a dit vraiment beaucoup de bien et beaucoup de mal.

4° La quatrième de couv' est alléchante, avec son catalogue de références improbables (j'y reviendrai).

5° Enfin, un éditeur qui s'appelle « Les Moutons électriques », ça marche bien sur les gogos dans mon genre (d'ailleurs, petit hors-sujet : cette jeune maison d'édition a un catalogue assez sympa, avec plein de jeunes auteurs et quelques originalités ; elle publie en outre l'excellente anthologie périodique Fiction ; et les bouquins sont souvent assez jolis, celui-là, notamment, puisque la couv' est bien chouette – je l'ai déjà dit ? –, y'a des photos et des dessins dedans, et des jeux typographiques, faut voir ce que ça peut donner, non ? Par contre : lesdits bouquins ne sont pas toujours agréables à lire – leur police de hobbit presbyte me pète les yeux – et c'est quand même bourré de coquilles, et souvent – même si ça ne s'applique pas ici, bien sûr – de traductions très hasardeuses : encore un petit effort, les gens !)

J'achète. (En plus, y paraît que c'est un bouquin qu'il est bien pour draguer les gonzesses ; ça vient peut-être de la couverture, qui est jolie donc, mais aussi rose ; bon, pour moi, ça a pas marché, hein...)

Parlons un peu de l'histoire, maintenant. Pardon : de « l'histoire ». Enfin, essayons de parler de... truc, là. Le roman est écrit à la première personne, et le narrateur, qui n'est pas nommé, est clairement un faire-valoir de Calvo lui-même : dès le début, on apprend qu'il est né à Los Angeles, mais qu'il est Français et a vécu en France toute sa vie, sauf que là il retourne à Los Angeles pour une histoire de jeux vidéo – comme Calvo, quoi. Petit haussement de sourcil ; parce cette pratique de la quasi-autobiographie virtuelle, si elle peut donner des merveilles – voyez Dick dans ses derniers romans, ou Houellebecq –, a aussi tendance à générer du lisier (voyez, au bas mot, 90 % de la littérature générale contemporaine). Pas de jugement hâtif, on y retourne.

Le narrateur se rend donc à Los Angeles pour assister à l'E3, vous savez, le gros salon de jeux vidéos avec des vrais morceaux de geeks en cosplay dedans (oui, un de ces endroits qui donnent envie de poser des bombes, mais finalement non, parce qu'on est gentil après tout) ; c'est un journaleux pour un machin de jeux vidéos, et il est censé traquer dans le salon l'énigmatique Dillinger, qui aurait développé un super système de réseau destiné à révolutionner les MMORPG et autres trucs du genre. Pas facile de trouver ledit bonhomme ; mais y'a plein de rencontres amusantes et improbables, de geeks en tout genre, le cerveau cramé et le costume défraîchi, à force – comme cet ancien type de Babylon 5 qui écume les salons en clochard céleste, sa casquette de la NASA vissée sur le crâne. Et puis il y a Pong, une connaissance virtuelle, croisée sur un forum consacré à la culture des années 1950 ; Pong, et sa passion, notamment, pour Walt Disney, qui va bientôt foutre le bordel ; partant de la brève période où Chuck Jones avait bossé pour tonton Walt, il va commencer à s'intéresser à « Marceline », l'étrange souterrain de son studio de Burbank, à sa rencontre avec Osamu Tezuka en 1954, à un ordinateur secret peut-être ? Et si on allait y faire un tour, hein ? Et là, c'est le drame. La suite n'est pas racontable, mais impliquera, entre autres, des fans sectaires de kaiju eiga, des fans non moins sectaires de Tron, des fichiers d'aide, des hélicoptères, des moustachus, des ordinateurs en carton, des extraterrestres en cœur de palmier, des Japonais, des nanites, de la neige et un fauteuil. Rouge, le fauteuil. Et le narrateur d'errer, complètement paumé (et plutôt attachant, voire touchant, il faut le reconnaître), dans une L.A. plus ou moins onirique, ou bien...

Parlons des thématiques, justement. Ici, y'a pas photo, le sujet est clair : le virtuel qui s'insinue dans le réel, ou en fait non, peut-être est-ce le réel dans le virtuel, sauf que non parce que les deux sont en fait la même chose (pour faire simple). C'est très intéressant, tout ça, et plutôt bien mené. Seulement voilà : content d'apprendre que Calvo aime lire des gens comme J.G. Ballard, William Gibson, et probablement – même si c'est un peu différent – Philip K. Dick, mais le truc c'est qu'il n'est pas tout seul ; tiens, par exemple, moi aussi j'aime beaucoup ces auteurs. Et du coup j'ai eu un peu l'impression d'avoir déjà lu tout ça, mais en mieux. Y'a de très jolies scènes, quand même – l'E3, un délire avec Groucho Marx, la passionnante « interview » de Victor Haboush, l'entreprise en carton... – mais, dans l'ensemble, passé l'investigation de « Marceline », me suis quand même un peu fait chier ; la faute à cet omniprésent sentiment de déjà-vu, à quelques scènes dispensables, à une ambiance de délire glauque un peu forcée et pas toujours bien gérée (Calvo aime probablement beaucoup David Lynch, aussi ; pareil en ce qui me concerne, mais... tiens, ça me fait penser qu'il aime aussi sans doute Matrix : pour le thème, c'est sûr que c'est approprié, mais ça en pète quand même moins que les auteurs précédemment évoqués, et du coup ça casse un peu l'ambiance, des fois, trouvé-je, surtout vers la conclusion...), et enfin à un style qui devient franchement éprouvant, avec ses interminables descriptions souvent inutiles, sa surabondance d'infinitifs et sa ponctuation, heu, « post-moderne », peut-être ? Ce mot a du succès ces derniers temps... Oui, c'est assez post-moderne, tout ça.

Bref, y'a du potentiel, c'est pas mal, mais je suis pas totalement convaincu (et probablement intellectuellement déficient, puisque d'un sentiment mitigé). Affaire à suivre.
Nébal
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le 12 oct. 2010

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