J'ai adoré ce bouquin et j'y ai consacré mes deux mémoires de Master. C'est une petite merveille de pensée polémique et de philosophie épicurienne ; à travers l'épopée de Benjamin, on découvre la province nivernaise telle qu'elle pouvait être au temps de la Révolution française [une révolution – c'est la thèse du petit-fils de Benjamin – récupérée par la bourgeoisie et non par le pauvre peuple], mais aussi les mœurs et la gouaille des petites gens qui vivaient dans une sorte de "gaieté gauloise perdue" (Marc Fumaroli). L'efficacité du livre repose sur la merveilleuse tactique de Tillier : l'histoire de l'oncle Benjamin (qui vivait avant la Révolution française), est relatée par son petit-fils (qui vit, lui, dans les années 1810-1820) : les soucis sont les mêmes et rien n'a vraiment changé, sinon en mal.
Dans mes mémoires pour la fac, j'avais essayé de défendre la thèse selon laquelle Claude Tillier – à la suite de Paul-Louis Courier – aurait introduit le lyrisme dans le pamphlet et, le premier, se serait servi de la description poétique pour susciter l'adhésion à des idées polémiques.
Il existe deux versions du texte : l'une parue sous la forme d'un volume en 1843, l'autre sous la forme de feuilletons (comme il était de coutume alors) en 1842 ; entre les deux, des différences très saillantes... et intéressantes à deux égards :
- elles donnent un aperçu de ce que pouvait être la censure infligée aux petits auteurs qui caressaient l'espoir d'ennuyer les puissants ;
- elles permettent de voir l'auteur à l’œuvre, qui peaufine et cisèle son texte en l'adoucissant par endroits et en le rendant plus incisif ailleurs.
C'est un tout petit bouquin à lire absolument. Par ailleurs, avec l’œil préparé, on y trouvera tout le petit monde des chansons de Brassens (dont c'était le bouquin préféré), et même quelques petits passages copiés mot pour mot... !