Par Olivier Lamm
Longtemps relégué aux Etats-Unis au rang d'incunable impossible à dénicher, Motorman tient une place très à part dans la généalogie du roman américain contemporain. Curieusement, c'est sa réputation chez ceux qui ne pouvaient pas le lire qui lui a assuré la postérité. Ben Marcus, qui signe l'introduction de la réédition américaine en 2004, y rapporte avec humour la place particulière que le roman tenait dans sa vie d'écrivain débutant, avant qu'il arrive à en dénicher un exemplaire : sa réputation, dit-il, était telle qu'il était circonspect et jaloux à l'avance de son étrangeté, de son invention et de la ferveur quasi religieuse de ses adeptes (qui racontaient que son auteur vivait au chevet de Maître Burroughs pour inscrire chaque matin ses rêves de la nuit écoulée). Shelley Jackson, auteur d'une Mélancolie de l'anatomie récemment encensée ici même (dans la version papier du magazine), raconte de son côté que le livre est le seul qu'elle ait dû lire en version polycopiée, « pour dire à quel point il était dur à trouver, et à quel point je le désirais ». Gabe Hudson, enfin, présente Motorman comme une oeuvre apte à générer, plus encore qu'une secte fanatique, « des cellules dormantes » prêtes à renverser la littérature sur la tête.
Pourtant, la vérité historique de Dave Ohle révèle un écrivain au destin plus humble, seulement connu chez les burroughsophiles pour avoir édité les mémoires de Bill Burroughs Jr. (certes à la demande de Burroughs Père, avec qui il entretint des rapports de bon voisinage vers la fin des années 1970). Une question toute bête se pose donc à la lecture de ce court roman arrangé comme un air de Beckett (110 chapitres succincts, plein d'air et de dialogues rapides) : Motorman est-il, comme l'affirme Shelley Jackson, « l'ancêtre secret de la fiction spéculative la plus audacieuse de notre temps » ? L'amateur du monde sémantique étrange de l'Américaine et des dystopies-simulacres de Ben Marcus, d'Alasdair Gray, de Kafka ou du Brazil de Terry Gilliam y retrouvera en tout cas un univers étrangement familier. (...)
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