Rapidement, hop, et comme pour de précédents comptes rendus (c'est bien, les lettres types) :

M. Matthias Echenay,

Dans le cadre de votre activité pour La Volte, vous éditez des livres qu'ils sont ben chouettes. Mais, si je n'avais pas ressenti excessivement ce problème lors de ma lecture de La Horde du Contrevent et de La Zone du dehors d'Alain Damasio, je me dois de vous faire part, à l'occasion de ce compte rendu miteux de ma lecture du ben chouette Narcose de Jacques Barbéri (que merci beaucoup, d'abord), d'un regret difficilement répressible consécutif au constat par moi-même d'une certaine abondance des coquilles dans le sus-dit livre qu'il est ben chouette, en conséquence de quoi et nonobstant la conjoncture et la petite taille de La Volte, je me sens subséquemment tenu de vous adresser cette supplique larmoyante : par pitié, Monsieur, faites des relectures ; embauchez un correcteur ! Vous ferez du bien à l'économie française et plus encore aux statistiques du Gouvernement, permettrez à un jeune imbécile de cotiser pour une retraite qu'il ne touchera jamais et, surtout, surtout, vous reposerez les yeux et les nerfs de vos lecteurs, et contribuerez ainsi à diminuer le trou de la Sécurité sociale. Vous l'aurez compris, Monsieur Echenay : c'est à votre civisme que je fais appel. La France compte sur vous. La Nébalie aussi.

Cordialement,

Nébal (futur Empereur-Dieu de la galaxie).

Merci.

(Note : la prochaine supplique du genre sera adressée, semble-t-il, aux Moutons électriques, et donc à André-François Ruaud si je ne m'abuse, parce que, pour Les Romans de Philip K. Dick par Kim Stanley Robinson, ben, justement, y'a comme qui dirait de l'abus, justement, comme qui dirait.)

Mais passons. Et abandonnons autant que possible les lourdes circonvolutions et périphrases flingue-neurones imposées dans le cadre de la rédaction d'un courrier administrativement correct qui vous prie d'accepter, Monsieur, etc.

Ca sera mieux pour parler de Narcose de Jacques Barbéri, un bouquin qu'il est ben chouette (donc). Un très court roman (pourtant la version « augmentée » d'une ancienne publication, à ce que j'ai cru comprendre ?), premier tome d'une trilogie qui s'annonce fort gouleyante, et accessoirement premier roman de l'auteur que j'ai le plaisir de dévorer (le roman, pas l'auteur ; non, faut suivre, hein). Cela dit, cela faisait un petit moment déjà que je voulais tenter l'expérience, la lecture de quelques nouvelles du monsieur ici ou là (mais notamment dans Bifrost) m'ayant déjà assuré que sa prose avait tout pour me plaire. Il faut dire, en outre, que Jacques Barbéri est un grand amateur de Dick, et que cela se sent, sans pour autant nuire à la personnalité de son œuvre. Etant moi-même un grand amateur de Dick, je dis déjà miam. Mais je dis d'autant plus miam que Jacques Barbéri écrit bien, et même très bien, hou la, oui ; une langue sonore et riche, inventive et juste, joyeusement foutraque à l'occasion sans être écœurante. Tout pour plaire, vous dis-je. Alors on peut bien dire merci (plus sérieusement cette fois) aux petites éditions de La Volte, qui nous ont il y a peu balancé dans la figure, là, comme ça, deux doses de Barbéri (et c'est d'la bonne, bébé), avec L'Homme qui parlait aux araignées, un gros recueil de nouvelles dont je vous parlerai un de ces quatre, et donc ce fort sympathique Narcose, bel objet qui sent bon le scotch-benzédrine, l'amphécafé et la camisole de force en fourrure de lapin.

Où nous faisons la rencontre, dans la ville-sphère de Narcose, d'Anton Orosco, minable petit margoulin de promoteur immobilier (quoi, pléonasme ?) qui, pour avoir été un tantinet indélicat dans sa dernière opération, encourt la colère de la justice, qui le menace d'un aller-simple pour les colonies minières de la ceinture d'astéroïdes, avec un joli pyjama à rayures. Nan, plutôt crever ! Ca tombe bien, cette hypothèse ne serait pas pour déplaire à certains, intransigeants magnats floués par Orosco dans son ambitieuse combine. Reste peut-être la possibilité de changer de corps, et de s'accorder ainsi un maigre sursis. Après s'être envoyé beaucoup trop de scotch-benzédrine, d'amphécafé, et Lisandra dans la foulée (mais elle aurait pu prévenir pour Aniel, quand même !), Anton Orosco se rend donc au Jungle Beer s'entretenir avec l'interlope Lion. Et c'est alors que les vrais ennuis commencent. Mais ça pourrait être pire : imaginez, par exemple, un lapin...

Du partage en couille comme forme la plus élaborée de l'art science-fictif. Pas facile de se représenter tout ça, pas facile de suivre, d'ailleurs, à l'occasion, mais on s'en fout. Parce qu'on se laisse emporter par la plume sous acides de Barbéri, comme dans un long trip psychotrope, entre l'extrados et la première tranche, le Jungle Beer et le Lemno's Club, le rêve et la réalité, la Terre et l'espace, la plage et l'horizon, entre l'animal et l'humain, l'humain et le post-humain, la chair et la machine, entre Dick et Gibson, Matrix et La Schismatrice, Alice au pays des merveilles et Star Trek, Le festin nu et San Antonio, entre ce que vous voulez et ce vous n'osez même pas imaginer, de la monade au grand tout et plus encore. Aussi ne vais-je pas m'étendre indéfiniment. On va faire simple : jouissif et pertinent, frappadingue et cohérent, drôle et effrayant, populaire et exigeant : Narcose, c'est de la bonne. On en reveut, et on en aura encore. Chouette.

Et puis tiens, en parlant de chouette, faut mentionner aussi le CD accompagnant le roman. La Volte joint en effet souvent une galette à ses pavés. Une idée plutôt bonne a priori, dois-je dire. Sauf que mes précédentes expériences en la matière (les deux damasiaux) n'avaient vraiment pas été concluantes : c'était de l'inutile et du ridicule, du gadget en concentré. Bref, ça avait tout de la fausse bonne idée.

Pas cette fois, heureusement : Une soirée au Lemno's Club, « bande originale du livre », est un CD fort sympathique ma foi, comprenant quinze titres de Palo Alto (le groupe de M. Barbéri himself), de Mu (Laurent Pernice), de Keny2, de The Flying Star Fish et de Polonium 84.

Quant à dire à quoi ça ressemble... Mmmh... Ben ça dépend, déjà. Mais le premier morceau, « Lemno's Dance » par Palo Alto, donne plus ou moins le ton : il m'a fait l'effet d'une sorte de, heu, acid jazz industriel psychédélique et chouettement dissonnant, peut-être, un peu comme du 23 Skidoo lorgnant vers du Psychic TV, avec des vrais morceaux de Brian Eno (avec John Hassel ou Robert Fripp) et de Hint, mâtiné de chaloupages downtempo et de Kraftwerk (ainsi l'effet doppler sorti tout droit d'un « Trans-Europe Express » sous hélium) ; ah ben d'ailleurs, à la piste 10, Palo Alto reprend justement un titre des Teutons robotiques, avec « Radioactivity Big-slow-bang Cover ». Mu est plus énergique, plus dansant. Mais le tout reste très cohérent : ça grince, et plane, et groove, et porte. Ca réfère grave (« Full Of Stars »...), ça calembourre la gueule (« Gay Tapant »), c'est un peu n'importe quoi des fois, mais c'est bien foutu aussi : bref, c'est tout à fait l'atmosphère de Narcose. Alors ce n'est bien évidemment pas l'album du siècle, hein, c'est un tantinet kitschounet à l'occasion (ce qui n'est pas toujours gênant, en même temps), voire à la limite du mauvais goût (ça, ça l'est plus...) dans certaines sonorités très datées pionniers de l'acid, certains samples un peu trop lancinants, certains traficotages vocaux plus ou moins grotesques... Mais ces petits couacs qui n'en sont pas totalement sont heureusement bien rares.

Non, franchement, elle laisse un bon souvenir, cette Soirée au Lemno's Club ; j'y ferais bien quelques autres virées, en attendant Narcose II – La Mémoire du crime. En espérant ne pas souffrir excessivement du manque, parce que ça sent l'accoutumance, tout ça. Mais d'ici là, heureusement, j'ai déjà L'Homme qui parlait aux araignées, que j'en salive déjà. Rhaaaaaaaaaaaaa.
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le 5 oct. 2010

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