Il n'y a rien de plus confortable que de ne pas penser, dit Simone WEIL. Par son exposé 'datant de 1950!), elle illustre à merveille cette absence quasi totale de réflexion qui stagne dans le monde politique à propos de l'utilité des partis et leur suppression possible.
Son postulat de départ, simple -tout le contraire de simpliste - , pose que sur le Continent d'Europe, le totalitarisme est le péché originaire des partis. En effet, on peut considérer qu'un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective. Construite de manière à exercer une pression identitaire sur chacun des êtres humains qui en sont membres, la seule raison d'être de cette machine électorale est sa propre croissance, sans limite, sans fin.
Si telle est l'Alpha et l'Omega des partis, Simone WEIL n'hésite pas à dire que relevant du Mal et s'opposant au Bien, ils peuvent être supprimés. Car qu'est-ce que le Bien? Pour l'auteure, seule les notions de Vérité, de Justice et d'Utilité publique relèvent du Bien. Comme on force la culture des endives (chicons, diront les belges), des tomates ou des fraises, au point d'avoir des fruits ou légumes énormes, formatés sous un même moule et produit, si possible en avance sur les autres, tout parti force les idées devant être exprimées par ses membres, réduit l'expression des idées aux seuls pans relevant de ses mécanismes d'élargissement et de sa doctrine. La perte sèche, pour tous, est la possibilité que perdent les citoyens de produire des idées personnelles et de les enrichir par la confrontation, sans pression, à celles d'autrui.
La justice des analyses des projets politiques déposés et, surtout, celle des votes exprimés dans les assemblées d'Etat ne peut tenir la route puisque cette justice est, en fait, dictée par une discipline de parti dans son rapport de force aux autres et non par la recherche et la construction progressive d'une vraie bonne idée capable de résoudre les problèmes du citoyen. Dans la foulée, la notion même d'utilité publique est entièrement absorbée par la soif de puissance et de croissance des partis.
La démocratie étant, plutôt devant devenir, la recherche permanente d'un état d'équilibre satisfaisant les besoins d'une population constituée pourtant d'innombrables particules en mouvemente et inter-actions ininterrompues, c'est du choc mêmes de ses intérêts personnels et de leurs régulations mutuelles que peut naître une réponse sage,convenant à tous, pour autant que cette 'surface de population' ne soit pas troublée par des vents d'orage et de rage qui se cristallisent autour de la confiscation de la pensée individuelle au bénéfice d'une pensée unique, politiquement forte, dépersonnalisée et offrant la suprématie du parti le plus fort sur les autres.
C'est dans le bien, le juste, le vrai, l'authentique que les hommes peuvent converger et se reconnaître uniques, différents et pourtant semblables. Les rapports de force, les mensonges, les revendications d'unicité de la seule bonne doctrine qui puisse être, celle de mon parti, ne peuvent créer que divergences, éloignements et conflits.
En toute logique donc, Simone WEIL déclarera que la suppression des partis devrait diminuer le Mal et l'Injuste et que cette suppression serait du Bien presque pur. Devenant donc légitime, elle eput s'opérer d'autant qu'elle ne semble susceptible que de bons effets.
Les partis n'étant plus, Simone WEIL préconise pour tout homme politique l'obligation de non appartenance à un parti de référence. L'homme politique devra définir sa position face aux différents projets devant répondre aux attentes des citoyens. Le choix électoral se fera donc sur des positions concrètes affirmées en regard des situations à régler et non sur base d'une obédience à un parti, une liste de noms, voire des règles de report de voix ou des votes en tête de liste.
Même si on peut se dire qu'il existera toujours des groupes d'idées, des cercles de personnes ayant des avis ou une argumentation proches, ne pouvant se parer d'aucune appartenance à un quelconque groupe partisan, les politiques devront, de facto, se situer dans la pluralité des options d'alliances, agissant ici pour telle solution avec ceux-ci et agissant là-bas, avec d'autres, pour trouver une solution à tel autre problème. Chaque réponse devant rencontrer, en son âme et conscience, les critères de Vérité, Justice et d'Utilité publique.
Finis donc les jeux de la bipolarisation de toute gouvernance et les oppositions de principes. Bienvenue aux bonnes volontés cherchant avec tous les acteurs politiques - et pourquoi pas des citoyens ? - les bonnes réponses à apporter aux vraies questions. Actuellement, par son totalitarisme, péché originaire, tout mouvement politique institué déforce la volonté d'une recherche en vérité, justesse et équité publique. Il ferme la porte au consensus réfléchi, à la soif d'équilibre, même au prix de justes compromis.
Avec cette note sur la suppression générale des partis politiques, Simone WEIL ouvre la voie (dès 1950) à une autre manière de vivre la démocratie. Constatant que, depuis, le monde politique n'a jamais cessé le jeu de recherche du pouvoir au détriment de la pensée riche, diversifiée, utile, rassemblée et, finalement, juste, il est peut-être grand temps d'arrêter de toujours remettre une couche de ce qui n'a jamais vraiment marché. Le dernier choix des électeurs français (mai 2017) pour désigner un Président n'ayant, pour ainsi dire, aucun parti structuré sur la bipolarité (même si, je le constate, il est lui aussi en recherche de pouvoir), ce choix est peut-être l'occasion de s'ouvrir à de nouveaux modèles de réflexions démocratiques avec - qui sait - une nouvelle éthique visant le Bien, le Juste, le Vrai au service de l'Utilité publique... L'avenir nous le dira.
Quoi qu'il en soit, la réflexion de S. WEIL ne devrait pas nous laisser indifférents.Qu'on aboutisse - ou non - à son modèle a moins d'importance que l'énorme avantage que nous aurions tous à réfléchir au modèle citoyen que nous sommes prêts à partager avec les politiques ... quitte à les bousculer quelque peu dans leurs us et coutumes!
"Note sur la suppression générale des partis politiques", un tout petit livre de moins de quarante petites pages... mais quelle belle et grande vision d'un nouveau monde que nous méritons!