Par cet ouvrage, Denis Colombi applique encore une fois à merveille la fameuse citation durkheimienne : « Nous estimerions que nos recherches ne méritent pas une heure de peine si elles ne devaient avoir qu’un intérêt spéculatif ». Nous nous éloignons bien ici de cet intérêt spéculatif par une véritable analyse de la réalité de la pauvreté, nous menant alors à une conclusion paraissant si simple, mais pourtant si essentielle : « Pour réduire la pauvreté, il faut donner de l’argent aux pauvres » (p. 309). Car souvent, les acteur∙rice∙s politiques comme la société dans sa globalité semblent oublier cet élément fondamental : les individu∙e∙s ne sont pas pauvres du fait d’incompétences personnelles, telles que le fait de ne pas savoir gérer son budget. Bien au contraire, les enquêtes montrent que les pauvres savent généralement gérer leurs maigres revenus de manière tout-à-fait rationnelle, permettant de contenir une situation de misère à laquelle il est impossible d’échapper : il s’agit simplement d’une méthode différente de celle des milieux plus favorisés, ce qui ne la rend pas plus idiote. Si la pauvreté existe, c’est alors bien le fruit d’un système économique et politique bien plus global, avec un élément primordial : si elle existe, c’est que la pauvreté profite à certain∙e∙s. L’argent des pauvres finit toujours par être bénéfique à d’autres acteur∙rice∙s, et pas seulement des riches capitalistes à la tête des plus grandes entreprises. C’est aussi le rôle de tout un ensemble de producteur∙rice∙s et de consommateur∙rice∙s tirant avantage de la pauvreté pour mener leur production à moindre coût et profiter de personnes enfermées dans un système de consommation.
Pour en arriver à cette conclusion qu’il faut « donner de l’argent aux pauvres » afin d’éradiquer la pauvreté, il convient déjà de parvenir à faire changer le regard sur celle-ci. C’est là tout l’intérêt de ce travail sociologique, qui bouleverse les représentations communes. « Croiser un SDF avec un smartphone et ne pas s’indigner de l’appareil mais bien de la misère. Voir une mère de famille sans le sou amener ses enfants dans un fast-food et plutôt que de blâmer une tare individuelle, s’interroger sur des enjeux collectifs tels que l’accessibilité de la nourriture saine ou les solutions de garde d’enfants. Ne pas blâmer les parents pauvres qui achètent des vêtements de marque à leurs enfants, mais lutter contre le harcèlement scolaire qui frappe ceux qui ne sont pas habillés à la mode. Autant de basculements dans notre perception du monde que la sociologie peut nous aider à faire » (p.311). Il s’agit alors d’en finir avec un stigmate des plus prégnants, sortir des fantasmes politiques pour réellement s’attaquer aux fondements de la pauvreté.