Hey Michel ! Ça fait un bail que t’as pas checké ta TT non ? Nan parce que là, moi, aujourd’hui le 2 juin 2013 à 00h10, j’y trouve très bien placés : #PrénomDePute #Nolife6ans (ceci est une chaîne de télé pour otakus, NDLR), #Grave et #Mdrrr. Et pour tout te dire, ça me pique un peu la rétine après avoir lu d’une traite ton essai extatique au sujet du bouleversement numérique de nos sociétés occidentales. Si je puis me permettre de citer un bout de conclusion : « Volatile, vive et douce, la société d’aujourd’hui tire mille langues de feu au monstre d’hier et d’antan, dur, pyramidal et gelé. Mort. ». Vive et douce hein. Tu veux qu’on reparle de cette TT récente #LesHomosexuelsMéritentDeMourirCar ? Les langues de feu seraient les flammes de l’enfer, donc…
Depuis le temps que j’entends parler de ce bouquin, j’en ressors finalement assez déçue.
Je suis trop vieille pour prétendre au titre de Petite Poucette, pas assez pour regarder tout ça d’un air attendri de vieux sage comme Michel Serres. Je suis blasée, voilà.
Page 19, on cause de « savoir ». « Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la Toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre ? Voilà, c’est fait. ». De quel savoir parle-t-on ? C’est détaillé un peu plus bas, Michel Serres nous parle de livres de bibliothèques, de dictionnaires… Pas un mot sur le Gorafi ? C’est bien dommage, vu tous les gens qui y croient. Ni sur les forums Doctissimo ? Erreur grossière, vu tous les gens qui y croient. Le savoir accessible à tous ? C’est qui, tous ? C’est noté aussi : les écoles, les campus, les amphis, bref, les étudiants et les professeurs. Ouais. L’élite quoi. Le transmettre avec un « voilà, c’est fait » ? Reste à connaître le prix de ton notebook, de ta tablette et de ton dernier Galaxy S4. Pardonnez-moi mais j’ai eu la désagréable impression que Michel Serres n’avait jamais quitté les couloirs de la fac. Monde feutré où le savoir se partage entre initiés, se décrypte avec méthode, malgré les bavardages dans les rangs des amphis. Monde où les utilisateurs de « la Toile » (c’est un peu #old non comme terme?) savent où chercher et quoi chercher, font la différence entre les sources, hiérarchisent les contenus, décèlent les fakes et les copycats. Et ça, ça nécessite un apprentissage qui, que Michel Serres le veuille ou non, ne se trouve pas en page 3 d’une recherche Google. L’esprit critique s’acquiert comme la politesse ou la propreté, avec des éducateurs, parents ou enseignants. Et il y en a qui sont plus aidés que d’autres au départ (toute considération sociale mise à part). Et comme moi aussi je sais faire des métaphores, c’est pas parce qu’on te file la liste des ingrédients du bœuf mironton que tu seras capable de les trouver et de réaliser la recette ensuite (sans aller sur Marmiton). Si le savoir se résume à l’addition totale de tout ce qu’on trouve sur la Toile, du plus subtil au plus crasse, alors Petite Poucette est mal barrée. Elle va vite vomir.
En page 55, « Petite Poucette a vu diminuer le nombre de cols bleus ; les nouvelles technologies feront fondre celui des cols blancs. ». Bref, Michel Serres nous parle de la disparition du travail, dont « une aristocratie bénéficiera seule, bientôt ». Ouais mais faudra toujours des enfants Chinois chez Foxconn pour fabriquer nos devices et des bonnes âmes pour torcher nos vieux. Mais bon, cet essai ne nous parle pas des sociétés autres qu’occidentales, on s’en fout, et pour revenir à un point évoqué plus haut, il ne nous parle pas non plus de ceux qui passent à côté du savoir, par destin ou par nécessité, bref, les gueux.
Michel Serres voit en Petite Poucette une utopie pour les sociétés occidentales. Moi je vois surtout Petite Poucette devenir, avec son abyssal savoir, le bras armé des « monstres d’hier », qui bougent encore, qui frétillent même, car ils ont changé de visage pour mieux se faire aduler. Si la politique et nos vieilles institutions ringardes ont été mises K.O par Petite Poucette, c’est pour laisser le champ libre aux multinationales, aux collecteurs de données personnelles, aux fossoyeurs de libertés individuelles et collectives.