Poèmes
7.2
Poèmes

livre de Yves Bonnefoy ()

Chroniques de la haine ordinaire : "Le pédant et l'escroc."

Amis du Très Haut Projet Poétique, je crains que vous et moi ne nous entendrons pas. Rien ici ou presque ne sera objectif, et si vous vous comptez au rang des idolâtres de Celui-qu'on-ne-peut-plus-éviter dans les cercles des gens lettrés et fiers de l'être (j'en connais hélas quelques-uns), vous feriez mieux de ne pas vous laisser atteindre par le venin baveux du crapaud : il ne s'agit que d'auto-défense.


A présent, causons.


Du mouvement et de l'immobilité de Douve est l'un des premiers recueils poétiques d'Yves Bonnefoy, dont je préfère mille fois les traductions de Shakespeare et les éditions du roman arthurien. Se piquant de se placer sous l'égide de Racine (rien que ça), Baudelaire (ben voyons), Jouve (qui?), et contre Platon, Mallarmé et Valéry, il compose ces 68 pages, prétendument résultat de milliers d'autres. Dès le départ, la critique s'enflamme, YB est consacré, ne cessera d'être étudié de son vivant dans les milieux universitaires, et sera porté aux nues au point d'être, toujours de son vivant, infligé aux agrégatifs. Presque aussi mort que Victor Hugo, ce résidu fossile des dissidents du surréalisme est encore aussi hyperactif de la plume qu'un Woody Woodpecker sous amphétamines (plume, pivert, tremblotte, tout ça...).


Le fait qu'il ait commis des vers ne m'embête pas en soi - c'est arrivé aux meilleurs. Le recueil, s'il n'est pas à mon goût, n'est pas mauvais au point de mériter l'anathème littéraire: il y a une forte cohérence de l'ensemble, une imagerie qui tient debout, un travail formel, et si l'on creuse un peu, l'on finit par comprendre ce qu'il bave.


En revanche, tout son paratexte autocritique a quelque chose de louche. Qu'il permette de saisir les enjeux de ses textes, soit. D'éclaircir son projet poétique, pourquoi pas. Mais ce côté "poésie consciente de soi" fait basculer l’œuvre dans un pédantisme des plus urticants. C'est en effet une chose de "sauver la vérité de la poésie" (à supposer qu'il y en ait une...), c'en est une autre de l'annoncer au son du clairon et de le répéter à tout va. Il prétend donc abolir le "concept" en poésie, lutter contre l'Idéal platonicien qui faisait fi du monde sensible, et contre le verbe "pur" de Mallarmé, trop détaché du monde immanent pour être de la Poésie au sens où Bonnefoy l'entend.


Il faut dire qu'il comprend les choses et les idées comme cela l'arrange, le petit Yves, et pour quelqu'un qui a fait des études de philosophie, je trouve ses définitions et ses notions un peu vaseuses. Exemples : dans un entretien avec Robert Kanters et François Erval, il dit à propos d'une leçon de Valéry au Collège de France "je pensais qu'il allait parler de la place de la poésie dans l'existence de l'homme (c'est ainsi que j'entends une poétique)". Mieux encore, dans L'Improbable, je souligne "Et je dis que le désir du vrai lieu est le serment de la poésie." L'on touche à ce qui me rend Bonnefoy détestable : cette prétention à se forger un vocabulaire qui lui est propre en superposant des définitions erronées à des notions classiques. Juste pour ne pas faire comme tout le monde, somme toute. Vous l'aurez compris, je suis allergique à ce monsieur. Et j'honnis peut-être encore davantage ceux qui, à genoux devant l'imposture, l'élèvent au rang des dieux, lui trouvant le mérite d'avoir lu, tout seul comme un grand, un livre de philosophie. Kirkegaard et Hegel, plus ou moins digérés par le Front Sacré du Poète, font les toupies dans leur tombe en entendant les "morceaux choisis", coupés, mal reformulés et détournés de leur argument premier. Il ne reste alors au poète qu'à remâcher les lignes du concept et de composer ses définitions personnelles aberrantes, reprises puis gravées dans le marbre par la foule de ses fidèles (BonneFOY, fidèles...ça se tient, non?). Ainsi, l'on parlera désormais de "quadrangle" pour désigner les poètes qui ont forgé la modernité (Mallarmé, Baudelaire, Rimbaud, Nerval): c'est vrai que la langue française avant lui manquait cruellement de mots pour désigner une figure géométrique possédant quatre angles...


Ce ne sont que des détails, je le concède. Des détails du même ordre que les poils urticants d'une ortie : de loin, de la mauvaise herbe négligeable et inoffensive, c'est-à-dire des élucubrations séniles d'un esprit fatigué que l'on peut à la rigueur tenter d'ignorer en attendant sa mort, de près, des boutons.


Rien à faire, je ne peux faire passer cet arrière-goût d'escroquerie : comment peut-on à tel point compliquer un discours qui prétend se modeler sur le "simple" pour parvenir au "sens" et à la "présence"? Dans cet optique, était-il vraiment judicieux de recourir à des images complexes qui superposent trop de niveaux de compréhension pour être immédiatement saisies, ou d'employer une prosodie et une syntaxe chaotiques qui perdent le lecteur ?


Je n'aime pas me sentir ignare, imbécile et fermée d'esprit quand j'ouvre un livre, et encore moins quand je décide que je n'aime pas une œuvre. Alors, que se passerait-il si je décidais de ne pas crier au génie ?

Bloarg
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le 13 juin 2016

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