Poèmes à Lou par SullyRay
Ce qui est bien avec les recueils de poésie, au moins en ce qui concerne la poésie non narrative, c'est que l'on a pas à craindre de gâcher l'intrigue dans une "critique".
Qu'est ce que les "Poèmes à Lou" ?
Un recueil constitué après la mort de Guillaume Apollinaire (emporté par la grippe espagnole) et qui réunit les poèmes écrits à Lou (tiens donc...) - Louise de Coligny-Chatillon - la dernière amante d'Apollinaire, poèmes écrits au front et donc marqués quelques peu par des images de guerre.
Comme souvent chez Apollinaire, il y a un peu à boire et à manger, du magnifique et du plus banal, des vers bien mesurés, des vers libres, du vocable précieux sorti de vieux grimoires poussièreux, de l'argot des tranchés. Quand c'est magnifique, ça touche à l'exceptionnel, au sublime (bref de l'Apollinaire quoi). Et pour le montrer on ne peut que faire lire (la poésie parle d'elle même) ces quelques vers qui constituent, m'est avis, l'un des plus beaux poèmes du XXème :
Si je mourais là-bas...
Si je mourais là-bas sur le front de l'armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l'armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur
Et puis ce souvenir éclaté dans l'espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l'étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l'espace
Comme font les fruits d'or autour de Baratier
Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants
Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l'onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L'amant serait plus fort dans ton corps écarté
Lou si je meurs là-bas souvenir qu'on oublie
- Souviens-t'en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur -
Mon sang c'est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie
Ô mon unique amour et ma grande folie
30 janvier 1915, Nîmes.
L a nuit descend
O n y pressent
U n long destin de sang
Bref voilà un beau compagnon de voyage pour les amateurs d'une poésie encore "saisissable" (i.e. loin de l'hermétisme de bien de certains autres poètes).
(A noter que l'édition chez Poèsie/Gallimard comporte aussi le "recueil" "Il y a", recueil des poèmes écrits par Apollinaire mais seulement publiés dans des journaux.)