Dénoncer la vacuité du langage d'entreprise
On s’attend à voir le résumé à une charge contre le cynisme impitoyable des marchés financiers, avec cette invention géniale, aboutissement d’une logique perverse de maximisation des gains : parier sur la survenance de catastrophe naturelle, c’est-à-dire sur la souffrance humaine… Et pourtant, le propos du roman de Thomas Coppey est bien plus large que cela : c’est à un démantèlement systématique, méthodique du langage corporate que l’on assiste ici, à une explosion jubilatoire du jargon le plus abscons que le management moderne peut produire.
Ce qu’il y a de particulièrement impressionnant est la manière dont cette mise à nu est mise en place : c’est bien par le style, par la forme que toute la vacuité de ce langage – Chanard, assez littéralement, se nourrit de paroles dans ce qu’elles ont de plus creux pour en découler des concepts –, donnant lieu à une collision troublante entre la sphère privée – la vie de famille – et la sphère professionnelle – le Groupe –, l’allure de la première étant contaminée au fil du récit par le style de la seconde : voir notamment cette page, affreuse, où l’éducation de la fille du couple est envisagée en terme de rendement, à la manière d’un manager traçant l’évolution professionnelle de l’un de ses subordonnés.
Une belle réussite sur le plan littéraire, grâce à une réjouissante adéquation entre le propos polémique et les choix stylistiques.