Tendre et Brutal

Pour cent dollars de plus est le plus beau texte de Jack London que j'ai lu jusqu'ici, c'est, comme le souligne une autre critique, un véritable uppercut littéraire dans lequel on retrouve plusieurs thèmes chers à l'auteur. L'irruption de la violence et de la mort est bien plus frappante dans ce texte bref que dans les nouvelles du grand nord comme Construire un feu où l'hostilité de l'environnement laisse présager le pire ou dans les scènes apocalyptiques de La Peste écarlate et du Talon fer. Rien de tout cela dans Pour cent dollars de plus, rien d'autre que la San Francisco natale de l'auteur. London nous raconte la formation d'un jeune couple, Joe et Geneviève, leur rencontre au hasard d'une boutique, les regards, les atermoiements, les commérages de l'entourage et finalement les aveux et les projets de mariage avec tendresse aussi magnifique que banale. Mais Geneviève découvre qu'elle partage le cœur de son bien-aimé avec une rivale : la boxe. Sur les conseils de sa belle-mère, la jeune fille parvient à convaincre Joe d'abandonner sa carrière prometteuse de boxeur. Elle accepte toutefois de le laisser faire un dernier combat qui permettrait de gagner la coquette somme de cent dollars, assurant le futur de leur foyer. Il s'ensuivra un combat brutal, l'un de plus intense que j'ai lu. London arrive à me faire vivre la transe d'un match de boxe alors que j'ignore tout de ce sport et maintient jusqu'au bout le suspens quant à l'issue de la confrontation. Je me souviens très nettement de l'impression que m'ont faite les dernières pages du livre. Je pense que l'excitation fébrile qui faisait trembloter mes mains et palpiter mon cœur avec tant de force n'auraient pas été plus vive si je m'étais trouvé sur les gradins à assister à un match de boxe entre deux adversaires aussi valeureux que Joe et Ponta.

En bref, Pour cent dollars de plus est un texte magnifique sur l'amour, les extrémités dramatiques auxquelles peuvent conduire la misère sociale et surtout l’ambiguïté de la virilité, encourageant à la fois un comportement protecteur envers les siens et un goût pour les jeux aux conséquences souvent destructrices. À lire absolument.

(Je tiens aussi à féliciter Denis Authier pour avoir réussi à traduire avec autant de brio ce texte et aux éditions Allia, toujours douées pour dénicher les textes les plus injustement obscurs des plus grands auteurs de la littérature mondiale)