« Le mouvement darwinien n'a rien changé dans l'humanité sauf, peut-être, qu'au lieu de parler philosophie sans esprit philosophique, les hommes parlent maintenant science sans esprit scientifique. » G.K. Chesterton
A priori je n’attends pas de Richard Dawkins une pensée approfondie dans les domaines de la philosophie ou encore de la sociologie religieuse. On n'est pas à l'abri d'une bonne surprise mais ce n'est pas sa "spécialité", certes. On est par contre en droit d’attendre, de la part du biologiste renommé qu’il est, un minimum de rigueur scientifique. Il n’est jamais inintéressant de voir ce qu’un biologiste peut penser des questions religieuses, plus particulièrement concernant l’existence de "Dieu".
Je m’attarderai donc prioritairement sur les théories que défend Dawkins et qu’il oppose systématiquement aux explications religieuses, selon lui "obscurantistes" et "irrationnelles". J’en conviens, cette approche du livre est surement un peu originale mais à dire vrai je n'ai pas l’intention de m’attarder sur le reste tant le niveau de réflexion m’a paru lamentable. De toute façon j’en ai gardé des souvenirs plutôt éparses, entre autres une remarque étrange comme quoi la notoriété de Saint Thomas d'Aquin était incompréhensible à notre génie des sciences (ce qui en dit déjà long sur la considération qu'il porte pour la philosophie...). Bref, cette critique pourra tout aussi bien être lue comme celle de son ouvrage l’ayant propulsé sur le devant de la scène : "Le gène égoïste".
Misère de la sociobiologie
Richard Dawkins est donc le grand représentant actuel de la "sociobiologie". Certes, pour l'instant ça n’a pas l’air complètement débile, mais laissez-moi développer. Un peu de patience et d'attention.
La "sociobiologie" désigne cette discipline prétendant fonder l'étude des faits sociaux sur des bases "scientifiques", ou plus exactement "biologiques". En gros, c’est l’analyse des comportements sociaux via le prisme du darwinisme et de la sélection naturelle.
Petit rappel de vulgarisation (pour les retardataires) : dans le darwinisme strict, orthodoxe, la sélection naturelle s’applique par la compétition entre les individus d’une même espèce. Une mutation "avantageuse" permet à l’individu en question de propager certains caractères anatomiques précis (et le patrimoine génétique qui en est à l’origine) au détriment des autres.
Arrive alors Richard Dawkins. Ça ressemble à Darwin. De très loin cependant. Son ambition n'est pas seulement d'expliciter des caractères phénotypiques (ce qui n'est pourtant pas une mince affaire) mais de réaliser une grande "synthèse" intégrant donc des phénomènes sociaux dans la sélection naturelle. En gros il opère une sorte de "biologisation" de la sociologie. Si ça vous parait pas clair, c'est normal : tout ça est parfaitement fumeux. Pour illustrer cela prenons l’exemple de "l’altruisme évolutionniste ", à l'origine de sa réputation.
Le problème à la base, avec "l’altruisme", c’est qu’on voit mal comment un tel comportement pourrait être sélectionné par l’évolution (si tant est qu’une attitude "morale" puisse être sélectionnable ; la morale serait-elle devenue héréditaire ?). Bref, la base du darwinisme c’est la concurrence, la lutte, et non pas l’entraide. En gros, il doit bien exister un avantage sélectif dans l’altruisme sinon tout le monde se ferait la guerre en permanence. Ben oui, fallait y penser voyons !
Bon, il est important ici de noter que les tenants historiques de la "sociologie darwinienne" s’étaient déjà posés ce genre de question à la fin du XIXe siècle et n’ont pas attendu Dawkins pour y répondre. Le point commun c’est que les explications proposées sont toutes aussi saugrenues les unes que les autres, et en flagrante contradiction entre elles qui plus est. La sociobiologie permet d'affirmer tout et son contraire. A bien y réfléchir, il est possible que cette discipline doive son existence au seul motif qu'il fallait absolument "moraliser"le darwinisme (qui semblait à première vue prôner la lutte de tous contre tous).
Que propose donc Dawkins dans "Le gène égoïste" ?
Simple : l’altruisme est un comportement qui confère un avantage sélectif non pas du point du vue de l’individu (théorie darwinienne), mais du gène. Le gène assure par l'altruisme de l'individu qui en est porteur sa propagation et sa multiplication au sein de la population. Le comportement altruiste est donc une sorte de "ruse" employée par les gènes pour se multiplier. Dans les cas extrêmes, le sacrifice de l'individu qui les porte s’explique parce qu'il permet la survie d’autres personnes qui en sont également porteuses. Dawkins est même d'une précision clinique : du point de vue de ses gènes la vie de l’individu altruiste vaut celle de deux de ses fils, quatre de ses neveux, de huit de ses cousins, etc (sur la question de savoir comment s’y prend l’individu pour connaître instinctivement le degré de parenté le liant aux autres là on nage en plein mystère). Nous ne sommes donc que des "machines" destinées à perpétuer des gènes. Notez bien qu'on est passé subrepticement de la compétition entre les individus d'une même espèce à celle entre gènes (d'où "l'égoïsme" des gènes se cachant derrières nos actions morales et un anthropomorphisme assez risible). Au nom de quoi opère-t-il une telle transposition ? On ne sait pas.
En finir avec la science
A partir de là on peut raconter n’importe quoi, Richard Dawkins le prouve amplement dans "Pour en finir avec Dieu". On reprend la même formule et abracadabra : pourquoi la croyance religieuse ? La sélection naturelle. L'origine de la morale ? La sélection naturelle. Existerait-il donc des gènes de la "croyance religieuse" et de la "morale" au même titre qu’on soupçonnait l'existence, au début du XXe siècle, des fameux gènes de l’alcoolisme et de l’homosexualité ? Le gène de l’intelligence risque de poser problème. Comment se fait-il que malgré la sélection naturelle il y ait encore des gens si idiots ? A croire que la connerie confère un avantage sélectif (je vous laisse le soin d'en imaginer un !). A priori il faudrait déjà savoir ce qu’on entend par "intelligence", "morale", "religion", autant de concepts complexes, flous et quasi philosophiques sur lesquels les penseurs se sont cassés les dents depuis la nuit des temps et que Dawkins et ses suiveurs se gardent bien de préciser. E.O. Wilson, fondateur de la sociobiologie, n’avait-il pas annoncé la couleur ? « Les scientifiques et les humanistes devraient envisager la possibilité que le temps est venu de retirer momentanément l’éthique des mains des philosophes pour la faire passer dans celles des biologistes ». Dawkins en vient même à étendre la sélection naturelle à l’astrophysique : si notre univers est si bien adapté à la vie c’est parce qu’il a été sélectionné par le jeu de la concurrence avec d’autres univers. Bref, la sélection naturelle c’est le Deus ex Machina de Richard Dawkins, bien dommage pour un athée.
Il est évident que la sociobiologie n’a absolument pas pour but d’expliquer les comportements sociaux (contrairement aux apparences) mais seulement de rendre ceux-ci compatibles avec la sélection naturelle. Les sociologues darwiniens bidouillent donc à loisir la théorie darwinienne pour raconter de beaux romans, plus ou moins vraisemblables. Le but c'est que ça fasse plausible. C’est pourquoi ce genre de littérature pseudo-scientifique ne dépasse jamais la vulgarisation de bas étage : le cœur de cible c’est le péquenaud lambda, pas la communauté scientifique (il suffit de considérer comment fut accueilli "Le gène égoïste" chez les biologistes).
Une anecdote pour finir. Toute cette fumisterie se donnant élégamment des allures scientifiques me fait penser aux youtubeurs de La Tronche en Biais (chaîne dénonçant les biais...) qui, voulant défendre à tout prix la théorie de l’évolution, nous assènent sans sourciller que si tant de gens sont encore créationnistes c’est que notre cerveau a été "façonné" par la sélection naturelle d'une telle manière qu'il nous est instinctivement difficile d'accepter la théorie de la sélection naturelle...
Quitte à me faire enfumer le cerveau je préfère encore Dieu à la sociobiologie, merci.