Malgré un dernier chapitre assez optimiste, cet ouvrage reste une peinture assez triste de l'état des sciences sociales. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : c'est le prestige de certaines théories fausses en sciences sociales, dit Boudon, qui expliquent que la plupart des intellectuels n'aiment pas le libéralisme. Reprenant Pareto, Boudon insiste sur le fait qu'une théorie peut être fausse et utile, c'est-à-dire qu'elle peut répondre à des besoins, des passions, combler des vides, et ce d'autant plus lorsqu'elles sont simples à comprendres. Ce qui mène au schéma complotiste couramment accepté de nos jours, selon lequel il y aurait d'un côté les dominants qui défendraient le marché libre pour mieux asseoir leur domination, et de l'autre les dominés, aveugle de cette conspiration.
La fausseté de ce genre de visions simplistes est facile à démontrer, cependant, elle sont tellement utiles et séduisantes que l'on peut difficilement lutter :
De façon générale, une théorie utile attire spontanément l’attention de nombre de personnes, alors que la critique de la même théorie passe facilement pour fastidieuse et décourageante du fait qu’elle exige une certaine contention d’esprit et qu’elle aboutit à une conclusion négative. À quoi il faut ajouter que la critique d’une théorie utile passe facilement pour déplacée, voire indécente et « politiquement incorrecte » aux yeux de celui qui croit que tous les points de vue se valent.
Pour comprendre pleinement ce livre, précisons qu'il convient d'être familiarisé avec la sociologie de Boudon, l'individualisme méthodologique, sa critique dévastatrive des pensées holistes, structuralistes, relativistes, etc. Et c'est peut-être un peu la limite de l'ouvrage : on ne sait pas vraiment à qui il s'adresse. Au fond, si l'on est déjà libéral et familiarisé avec la pensée de Boudon, on n'apprendra pas énormément, si on est antilibéral et pas familiarisé avec la pensée de Boudon, le propos ne seras pas entendu...bref, ce livre s'adresserait plutôt à des libéraux débutants ou à des gens très ouverts d'esprit.
En outre, s'il y a dans cet ouvrage énormément d'éléments pertinents (quoique pas très nouveaux) je regrette que Boudon soit si dur envers les libéraux radicaux, contre lequel il n'argumente pas, mais qu'il accuse de contribuer à donner une mauvaise image du libéralisme. (Ce qui ne l'empêche pourtant pas de citer Bastiat, Nozick...) Boudon tombe ainsi dans le travers qu'il dénonce, en substituant le critère d'utilité à celui de vérité. Toutefois, cela ne représente qu'une partie infinitésimale du livre.
Et Boudon a peut-être aussi trop tendance à faire primer les sciences sociales dans son explication, et peut-être pas assez des éléments comme l'interprétation de l'Histoire. (XIXe siècle, Crise de 29, Trentes glorieuses...)