Faut-il lire Sartre comme un styliste ma réponse est oui. Sartre avec les mots est très recoupé, retranché dans un style épuré, précis, fin, beaucoup plus abouti que ses pâles copies des idées et tonalités Céliniennes que j’avais entr’aperçu dans La Nausée. Heureusement, Sartre est agile et novateur dans les années 60, on sent le temps qui a passé, mon expérience de lecteur à été jouissive, Jean-Paul sourit dans chaque phrase, pleure parfois en catimini, on est touché et étonné par sa prescience, sa lucidité sur cet enfant qui voulait devenir écrivain, qui était balloté entre son grand-père Hugolien et sa mère chétive et adorée.
Sartre avec Qu’est-ce que la littérature nous propose une lecture marxiste du métier d’écrivain. Pour Sartre ou contre Sartre, on ne peut que spéculer sur son statut plus ou moins légitime de critique de qualité. Il a des idées, il dit lui-même :
« la grave erreur des purs stylistes c’est de croire que la parole est un zéphyr qui court légèrement à la surface des choses, qui les effleure sans les altérer. »
cette attaque de L’Art pour L’Art est somme toute pertinente mais incomplète, on ne peut séparer évidemment purs stylistes et écrivains engagés en une répartition binaire, il est difficile de définir un écrivain ou un type d’écrivain comme un liquide chimiquement pur. Sartre dans Les mots est un grand styliste, il a cette qualité d’avoir une lecture critique de la classe bourgeoise dans ce texte et de s’y tenir tout du long. La véritable fonction de qu’est-ce que la littérature est un manifeste pour une littérature engagée :
« il est donc légitime de lui poser cette question seconde : quel aspect du monde veux-tu dévoiler, quel changement veux-tu apporter au monde par ce dévoilement »
Tel un développement photographique, la littérature selon lui, fait office de démystificateur du réel, et donc participe par son engagement à cette entreprise de dévoilement.( de l’oppression des dominés par les dominants, des inégalités, du surgissement de la lutte des classes dans le discours narratif). Cependant, dans un article publié en 2007, Eric Gans estime que les préoccupations de Sartre dans cet ouvrage sont devenues totalement étrangères au contexte créé par la déconstruction et les Cultural studies ainsi que, à une date plus récente, par les Études post-coloniales.*Le texte de Sartre peux malheureusement souffrir de désuétude. En effet, l’analyse aujourd’hui est multifactorielle et le vent a tourné de bien des manières, mais chez Sartre la pâte est là, le hoquètement ironique des mots est là, la beauté de la forme aussi, fort heureusement.
Source :
*Eric Gans, « What Is Literature Now? », New Literary History, Baltimore, Johns Hopkins University Press, vol. 38, no 1, hiver 2007, p. 33-41