Ce qui est intéressant dans cette autobiographie fictive d’un comique déchu, c’est que Karine Tuil est d’abord entrée dans la peau et dans la psychologie plutôt retorse d’un homme de scène. Elle décrit très bien ce fossé souvent béant entre l’homme privé et l’homme public et parvient à faire hésiter le lecteur sur l’identité profonde de Jérémie Sandre qui peut voir en lui un bourreau ou une victime. Cette ambivalence est bien claire dès le départ de Quand j’étais drôle et elle est nourrie d’épisodes bien précis ( son rapport contrarié avec la mère américaine de sa fille qui l’a eu jeune, une psycho généalogie de Jérémie avec son père où l’humour est une arme de séduction massive, son extraction d’un trio comique « Les Affreux » où les individualités respectives sont emplies de jalousie, d’amertume et d’incompréhension mutuelle entre autres ). Karine Tuil s’ingénie à décrire l’entourage de l’humoriste ne valant pas mieux que lui, fait remonter son existence aux racines supposées des maux ( ayant fait de lui un être perspicace, observateur et pas si drôle en fait) et l’enchaînement des sous-récits et sous-intrigues montre comment la vie privée déjà bancale de l’humoriste finit par chavirer. Quand j’étais drôle est bien écrit, ménage ses effets sur la longueur grâce au récit « après-coup » où Sandre explique comment il organise sa défense avec son avocate commise d’office ( Maitre K) et ce qui en découle. Voilà aussi un livre qu’il ne faut pas lire d’une traite pour bien soupeser les enjeux narratifs et éviter surtout de trop voir Jérémie Sandre du côté de celui qui en prend trop dans la figure. Le contexte francophobe aux Etats-Unis est aussi un ingrédient qu’il ne faudrait pas trop prendre à la lettre car le comique sait aussi se mettre en scène pour déployer ses misères pour les amplifier. L’épilogue du livre statue aussi sur le traitement des médias face aux trajectoires en apparence brisées. C’est peut-être à ce moment là où le lecteur saisit le mieux que l’humoriste, vu par ses proches comme un survivant, l’incite à retourner dans l’arène médiatique. Une posture elle-même à double-tranchant.