Voilà un magasine qui m’a passionné de bout en bout. Le format consiste en des articles divers, généralement de bonne qualité, et un dossier principal, ici l’aventure française en Amérique du Nord, qui constitue le cœur du magasine avec des papiers écrits par divers historiens/chercheurs.
Ce qui m’a passionné c’est cette épopée incroyable conduite par une poignée d’hommes et de femmes, aventuriers, gens du commerce, militaires ou religieux, qui découvrirent d’immenses territoires, cohabitèrent pacifiquement avec la plupart des tribus indiennes en les traitant comme de réels partenaires à travers le commerce de la fourrure, les missions d’évangélisation et les alliances guerrières contre les Iroquois ou les Anglais notamment. Cette terre d’Amérique du Nord fut longtemps laissée aux seules entreprises qui commerçaient les fourrures avant que le pouvoir monarchique ne décide au milieu du XVIIe siècle d’en faire une province française dirigée par l’administration royale. Quand on comptait un Français pour dix Anglais en Amérique du Nord, les premiers firent preuve de pragmatisme, traitant les Indiens (et ces derniers faisaient la même chose en retour) comme des partenaires commerciaux ou des alliés selon les tribus, encourageant même parfois le métissage.
On découvre ou redécouvre des figures passionnantes comme Jacques Cartier, Dugua de Mons, Marie de l’incarnation, Champlain ou le chef huron Kondiaronk par exemple. Le cas de la Louisiane, les questions de l’esclavage, de la déportation des Acadiens par les Britanniques, la figure du coureur des bois ou encore du rôle des missionnaires sont quelques-uns des thèmes qui sont détaillés.
La chute de la Nouvelle France, long affrontement scellé par la Guerre de Sept Ans (appelée Guerre de la Conquête par les Canadiens et French and Indian War par les Anglais) est évidemment évoquée car malheureusement la France, à la différence de l’Angleterre, considéra toujours ses intérêts prioritaires sur le vieux monde, bien que ce fut parfois une question de survie car étant régulièrement en conflit avec des coalitions européennes tandis que le péril anglais menaçait toujours plus ses colonies. Les conflits entre Français (entendre par là Français de métropole mais aussi Canadiens) et leurs alliés Indiens (à l’exception notable des Iroquois la plupart des tribus indiennes s’allièrent aux Français) face aux Anglais furent nombreux et les premiers, malgré leur infériorité numérique, remportèrent d’éclatants succès en se battant notamment à l’indienne lorsqu’il le fallait. Malgré le courage des Français et de leurs alliés Indiens (qui sur la fin de la guerre se désengagèrent pour la plupart du fait de l’action de diplomates anglais qui, profitant du blocus qu’ils imposaient aux marchandises françaises pour entretenir leur inquiétude, réussirent à persuader les nations autochtones que ce n’était pas leur guerre… Malheureusement la suite de l’Histoire prouvera à quel point c’était faux), l’enlisement de la France au secours de son allié autrichien sur le continent européen conduira à une paix désastreuse pour la France. Lorsque Louis XV, après la victoire écrasante de ses troupes sur les Britanniques et leurs alliés Autrichiens du moment lors de la guerre de succession d’Autriche, restituait à la surprise de tous les territoires conquis en déclarant faire la paix en roi et non en marchand, l’Angleterre protestante fut pour sa part impitoyable après la Guerre de Sept Ans et rafla la plupart des colonies françaises et notamment l’Amérique du Nord. Du fait de la diplomatie désastreuse de Louis XV dont les troupes étaient pourtant le plus souvent victorieuses, le pays sortait considérablement affaibli de son long règne et les Canadiens et les alliés indiens d’autrefois furent abandonnés aux mains d’une Angleterre protestante aux appétits bien plus voraces que ceux de la France catholique des lumières. Le monde allait désormais parler anglais et commercer selon les principes économiques britanniques, et ce malgré la victoire de la France lors de la guerre de 1778-1783 où Louis XVI sera lui aussi trop tendre en termes de diplomatie.
Enfin un autre aspect majeur traité par ce magasine et que j’ai évoqué sommairement plus haut est le spectre des relations franco-indiennes. Il rappelle que, contrairement à ce que le wokisme ferait croire en ce moment en mettant dans le même sac tous les blancs, appuyé d’ailleurs et pas forcément pour les mêmes raisons par certains films hollywoodiens comme The Revenant (par ailleurs un bon film) ou Prey qui montrent les Français comme des gros salauds qui exploitaient les Indiens et les méprisaient (c’est plutôt ce que firent les Anglais donc), les Français traitèrent généralement les Indiens avec respect même si il y eut évidemment quelques dérives à déplorer. Les Indiens surent refuser certaines demandes françaises lorsqu’ils jugèrent que cela ne servait pas leur propres intérêts et ces derniers ne cherchèrent pas à parvenir à leurs fins par la force. Par ailleurs comme dit plus haut le métissage était toléré voire par moments officiellement encouragé. D’ailleurs en 1665, les Indiens alliés à la couronne sont considérés comme des sujets que le gouverneur de Nouvelle France doit protéger, Louis XIV lui écrivant « Que les officiers, soldats et tous les autres sujets traitent les Indiens avec douceur, justice et équité, sans leur faire jamais aucun tort ni violence ; qu’on n’usurpe point les terres sur lesquelles ils sont habitués sous prétexte qu’elles sont meilleures ou plus convenables aux Français ». Ainsi après cela on peut même parler jusqu’en 1760 de l’expansion d’une Amérique franco-indienne. D’ailleurs lorsque les Anglais parlent de French and Indian War il ne s’y trompe pas, en 1763 ils ont vaincu l’Amérique franco-indienne issue de l’alliance de 1603. Au regard de l’histoire il est d’une part clair et sans appel qu’il n’y eut aucune forme de génocide de la part des Français à l’égard des Indiens, mais il n’y a pas non plus eu de dépossession territoriale (une différence majeure avec les pratiques anglaises). Un bilan qui amènera l’historien américain Francis Parkman à déclarer : « La civilisation espagnole a écrasé l’Indien ; la civilisation anglaise l’a méprisé et négligé ; la civilisation française l’a étreint et chéri ».
Pour conclure vous aurez compris que j’ai trouvé que ce numéro du Figaro Histoire était tout bonnement passionnant. Cette épopée incroyable de la France en Amérique du Nord est presque totalement méconnue du côté Est de l’Atlantique d’autant que pour ne pas froisser les nouveaux alliés Britanniques d’après 1815, la France oubliera ses cousins du Canada ou presque et ce jusqu’à la visite de De Gaulle au Québec en 1967. Aujourd’hui encore les Canadiens d’origine française se battent pour leur identité en défendant leur langue et leur histoire, la France devrait les soutenir davantage en ce sens encore faudrait il que nous même ne cédions pas pleinement aux sirènes de l’américanisation et au langage de commercial/start-up avec son invasion d’anglicismes qui inonde les villes d’un « franglais » dégueulasse. Mais ceci est une autre histoire...