Très court, très beau et très dur texte, très justement récompensé par le prix Goncourt du premier roman et par le Prix Hors concours des lycéens. Pourquoi faire un essai ou un roman de 400 pages puisqu'en moins de cent, Emilienne Malfatto parvient à raconter la société irakienne : chaque membre de la famille représente une opinion, un groupe de la société toute entière ? Chacun s'exprime à son tour dans le livre sur la grossesse hors mariage de la jeune femme, leur sœur, fille ou belle-sœur. Les mots sont simples et forts pour raconter l'enfermement des femmes, l'autorité masculine : "Le médecin s'est remis à parler, il s'est courbé vers moi. Je crois qu'il a essayé de comprendre. Ses yeux étaient désolés. Il a utilisé des mots inconnus, déni, et celui-là encore, psychosomatique. L'infirmière m'avait pris la main. J'ai pensé à ma mère, qui préviendrait elle-même Amir si elle en avait l'occasion. L'honneur est plus important que la vie. Chez nous, mieux vaut une fille morte qu'une fille mère. Le médecin m'a demandé ce que je comptais faire, si j'avais de la famille ailleurs, quelque part, loin. J'ai voulu lui dire que tous étaient morts, et que ceux qui n'étaient pas morts me tueraient. Les mots sont restés bloqués dans mon ventre." (p.21)
Le poids de l'autorité masculine est tel que ni les femmes, ni les hommes qui aimeraient plus de liberté pour elles et pour eux ne s'expriment. Ils laissent faire, par crainte des représailles qui ne manqueraient pas d'advenir, la puissance est du côté des combattants, des traditionalistes qui écrasent tout désir de changement qui ne reste donc que velléité contrainte.
Le récit d'Emilienne Malfatto est fort en cela qu'en si peu de pages, il expose tous les points de vue. Cette tragédie dont on connaît la fin dès le début est intense et se lit d'une traite. Il est d'une beauté et d'une force rares.