La bio du boléro
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le 18 mars 2014
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Une biographique classique du compositeur français Maurice Ravel, qu’est ce qu’elle en ferait ? Elle chercherait à expliquer l’origine du génie par une étude minutieuse et détaillée de sa vie. Il s’agirait de comprendre comment un tel prodige est né. La vie intellectuelle et artistique de Ravel serait passée au peigne fin et l’homme en ressortirait probablement déifié.
C’est l’exact contraire que fait Echenoz ici. Nous verrons Ravel dans son intimité la plus crue et la plus anodine : dès l’incipit, l’homme sort de son bain et se demande comment s’habiller. On découvre ensuite au cours du roman les différentes techniques imaginées par Maurice pour s’endormir plus aisément, car il est sujet aux insomnies. Au retour de son voyage américain, on le voit errer dans sa maison sans savoir quoi faire, se sentant un peu seul, trop fatigué pour ouvrir un livre ou jouer une partition. J’ai cru comprendre qu’Echenoz a écrit son roman suite à une visite de la maison de Ravel à Montfort l’Amaury, ce qui explique son attention pour les détails très matériels et quotidiens de la vie du compositeur. Que c’est bon de voir Ravel, jouissant d’un statut de demi dieu de la musique, humanisé à ce point, saisi dans une matérialité banale, prosaïque. Nombreux sont les moments où Ravel tâtonne, s’ennuie plus ou moins fermement, ne sait pas que dire ou que faire lorsqu’il est en haute société, s’efforce de satisfaire ses obsessions alimentaires (de belles pièces de viande rouge).
Echenoz s’amuse avec Maurice. Il moque avec malice mais tendresse son obsession pour ses tenues vestimentaires dans des passages fort détaillés, car Ravel était toujours tiré à quatre épingles. Plus généralement, Echenoz se plait à décrire avec moult détails et avec des vocables qui vous feront ouvrir votre dictionnaire certains éléments techniques de la vie de Ravel. On connaît par exemple le nombre exact de pyjamas qu’il emporte dans sa valise à New-York et la puissance, les matériaux et le nombre de cabines du paquebot transportant ladite valise. Ce qui est peu détaillé en revanche, ce sont plutôt les humeurs et les affections de Ravel. Elles sont évoquées, mais avec concision et efficacité. De sorte qu’apparait une binarité entre des passages foisonnants de détails et au style soutenu, et d’autres concis, presque lapidaires au style familier (voir p66).
Le style d’Echenoz semblera peut-être nonchalant, trop distancié et ironique pour certains mais la malice de l’écrivain devrait convaincre tout le monde. A de très nombreuses reprises, Jean installe un jeu de pronoms qui défait les cloisons intra et extradiégétiques entre narrateur, lecteur et personnage. Il interpelle directement Ravel par son prénom pour le rassurer quant à l’avenir du Boléro. Et la magie du style Echenoz nous rend alors Ravel familier. Page 66 : « Au téléphone, alléluia, Zogheb est là. On est content de se parler, de s’entendre et bien sûr qu’on va se voir et pourquoi pas tout de suite ». Ici l’usage du « on », en plus de créer une drôle de familiarité et un dynamisme narratif, embarque le lecteur au côté de Maurice, au point de faire du roman un véritable page-turner (alors qu’il n’y aucune structure scénaristique).
Et malgré cette écriture très ludique qui se joue des registres et des frontières, on est en pleine empathie avec Ravel lorsqu’il souffre de solitude et de maladie. Je craignais un peu que le ton souvent comique et le rythme endiablé du livre empêche un peu toute émotion négative de se déployer. Que nenni ! C’est justement parce que Ravel nous a été présenté comme un humain finalement lambda et nous a été rendus familier tout au long du roman qu’on est si touché lorsqu’il se meurt doucement.
Un formidable roman, savoureux, souvent très drôle, parfois triste. On le referme avec une saveur douce-amer inattendue, presque mélancolique. Parce qu’on a l’impression d’avoir véritablement rencontré quelqu’un. Je crois que c’est rare.
Créée
le 5 sept. 2023
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