"Richard II" est une pièce contemporaine à "Roméo et Juliette" et au "Songe d'une nuit d'été". Nous sommes (environ) en 1595 et Shakespeare commence à se faire un nom en tant qu'auteur attirant facilement les foules, toutes classes sociales confondues. De fait, "Richard II" sera une oeuvre très populaire du vivant de l'auteur, jouée d'innombrables fois par sa propre troupe et même, ce qui était rare pour l'époque, plusieurs années après la première représentation. Pourtant, les spectateurs des siècles suivants seront peu flatteurs avec cette histoire de roi déchu jugé trop sensible et féminin, voire homosexuel (sic), au point que la pièce sombrera peu à peu pratiquement dans l'oubli ! Ce n'est qu'au vingtième siècle, à l'aide de mises en scène audacieuses mettant en avant l'ineffable poésie qui habite le roi Richard, que la pièce retrouva enfin tout le prestige qu'elle mérite...
"Richard II" est le première opus d'une tétralogie historique basée sur des témoignages et autres chroniques médiévales qui nous décrivent gaiement les meurtres, trahisons, félonies et autres petites démences passagères des têtes couronnées anglaises. J'avais franchement peur que la caution historique alourdisse cette pièce d'une espèce d'obsession didactique; il n'en est rien. La bataille idéologique qui opposa Richard II et le futur Henry IV a toujours été assez mal connue et Shakespeare se jette évidemment tête la première dans ce flou général pour écrire une superbe tragédie basée sur l'incertitude. Après un règne décrit comme abusif quoique non dénué d'humanité, Richard doit affronter un usurpateur qui se prétend sauveur de l'Angleterre mais qui, dans les faits, ne vaut guère mieux. Aucun manichéisme donc, mais des jeux constants de miroir, de dédoublement, de fragmentation et, finalement, de répétition. En suivant l'anéantissement d'un souverain comparé plusieurs fois au soleil approchant du ponant, nous sommes plongés dans la révélation qu'a un homme de lui-même: ce qu'il croyait être son identité - son rôle de roi - n'était qu'un masque de théâtre, l'une des innombrables facettes qui composent le miroir brisé de son être.
Alors que la vanité fait rapidement place à l'humiliation, Richard est sauvé, selon moi, du ridicule, par la profonde conscience qu'il acquiert de lui-même et des autres, un recul plein de sagesse et de douleur sur l'habituel monde-illusion du théâtre baroque, jalonné de superbes tirades pour la plupart extrêmement sérieuses sans toutefois trop tomber dans la lourdeur. En effet, l'humour est malheureusement très peu présent dans la pièce (mélanger humour et tragédie étant pourtant une clé chez Shakespeare) et le tout semble manquer parfois un peu de vie mais quelques touches discrètes de légèreté viennent tout de même colorer l'ensemble du doux cynisme ("doux" car son amour pour le moindre de ses personnages est évident) qui me plait tant chez Shakespeare.
Mon édition de l'oeuvre, chez Folio Théâtre, adopte la toujours très bonne traduction de Déprats et propose un appareil critique à mon sens indispensable pour comprendre pleinement l'histoire. En effet, à moins d'être un expert ès moyen-âge anglais, on est forcément un peu perdu au début de la pièce, notamment à cause d'un changement de caractère assez phénoménal concernant Richard qui passe du roi tendre au despote sans pitié en moins de temps qu'il n'en faut pour faire un pet ! L'explication du contexte socio-politique de l'époque justifie dès lors ce qui, au début, m'était apparu comme une faiblesse dans la description psychologique des personnages.
Bref, si comme moi vous craignez un peu de vous lancer dans une pièce historique, n'hésitez plus: la poésie qui suinte de "Richard II" compense largement le hiératisme qui raidit parfois un peu le style de Shakespeare. La conclusion, lumineuse et légère, éclaire définitivement l'ensemble d'une aura inoubliable.