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Richard Matthew Stallman est certainement l'un des informaticiens les plus brillants et les influents de l'histoire du domaine. S'il n'a pas créé l'ordinateur et ses concepts, il a en revanche effectué des contributions logicielles majeures saluées par la communauté des informaticiens tant pour leur qualité, leur ingéniosité que leur utilité avec l'éditeur Emacs, le compilateur GCC et des dizaines d'autres outils. Mais il a surtout mené très tôt une réflexion sur le fond au sujet du logiciel et sur ses implications sur la notion fondamentale de liberté. De cette réflexion il formalisa la notion de logiciel libre, véritable révolution conceptuelle, et arrêtons de tourner autour du pot, contribution philosophique. Ce livre, initialement écrit par Sam Williams, journaliste américain, retrace sa vie de l'obtention sans conviction d'un BA en physique à Harvard à 21 ans jusqu'au succès grandissant du système d'exploitation libre GNU/Linux.

Richard Stallman est un enfant surdoué qui découvre l'informatique en lisant un manuel d'IBM 7094 au cours de sa 8e ou 9e année (autours de 1962 donc). Il brûle immédiatement d'écrire des programmes, mais faute d'avoir accès à un ordinateur, ou d'avoir la possibilité de demander l'accès à un ordinateur, il commence à écrire des programmes sur de simples feuilles de papier... La passion ne le quittera plus. Quelques années plus tard, alors qu'il est censé être un étudiant de la prestigieuse université d'Harvard, il passe en réalité le plus clair de son temps dans le laboratoire d'intelligence artificielle du MIT, une autre université américaine prestigieuse, où il n'est pas étudiant et où il n'a en principe rien à faire. Il y a en fait intégré l'équipe des Hackers, terme qui ne désignait en rien une équipe de pirates, mais qui désignait une équipe soudée qui s'occupait de la maintenance du système informatique. Avides d'explorer les possibilités offertes par le nouvel outil informatique, les hackers étaient des passionnés fascinés par les défis. Pour eux, trouver une solution fonctionnelle à un problème ne suffisait souvent pas, il fallait de surcroît que la solution impressionne les autres par son efficacité et son ingéniosité. Idéalistes, les hackers parlaient de changer le monde par les logiciels et avaient identifié trois principales barrières: la piètre qualité des logiciels de l'époque, la bureaucratie universitaire et l'égoïsme [1]. C'est dans ce creuset bouillonnant que Stallman fait ses armes et trouve sa place. Comme il le dira plus tard: « J’ai rejoint cette communauté dont le style de vie impliquait le respect de la liberté d’autrui. J’ai compris assez vite que c’était une bonne chose. Il m’aura fallu plus de temps pour réaliser qu’il y avait là un enjeu moral. »

Son diplôme de physique en poche, il tente de poursuivre ses études de physique au MIT mais abandonne rapidement, ne voyant pas comment contribuer au domaine, mais voyant en revanche très bien comment mettre à profit ses compétences en informatique. Il décroche un poste d'informaticien au AI Lab du MIT. C'est en 1980 que sa vie bascule avec un cadeau offert par Xerox au laboratoire: un prototype d'imprimante dernier cri: une imprimante laser. Si aujourd'hui cela peu faire sourire, replacée dans son contexte une telle imprimante semble sortie d'un roman de science fiction: les pages sortent en des temps divisés par 10, les cercles ne ressemblent plus à des ellipses, les segments à des escaliers, etc. Un écueil cependant, le logiciel interne de l'imprimante était imparfait. Cela n'était pour Stallman pas plus un problème que cela: sur d'autres modèles d'imprimantes il lui avait suffi de prendre le code source (langage intelligible par un informaticien permettant d'écrire des programmes, ensuite traduit en "code machine", suite de zéro et de un intelligible par un ordinateur), de l'étudier et de le modifier pour résoudre le problème. Mais là, pour la première fois, ce code n'était pas fourni, et Xerox, invoquant le secret industriel refusait de le livrer. Cela annonçait le tournant que l'industrie informatique allait connaître avec le logiciel privateur (Microsoft, Adobe, Apple et co), et Stallman sentit la colère monter. En contradiction avec les principes moraux et éthiques des hackers qu'il n'a, contrairement à nombre de ses collègues de l'époque, jamais abandonnés, il saisit immédiatement les implications d'un tel geste de la part de Xerox sur les notions de libertés et d'éthique scientifique:

« J’ai décidé de ne jamais me rendre complice de ce système », dit Stallman, faisant référence à la fois au mécanisme de la clause de confidentialité (qui à ses yeux revient à « brader sa liberté pour des raisons de commodité »), et à l’esprit qui encourageait ce marchandage moralement douteux. « J’ai décidé de ne jamais faire d’autres victimes comme moi. »

A partir de ce déclic, Richard Stallman va donc créer le concept de logiciel libre, qu'il résume lors de ses conférences en français en trois mots qui devraient évoquer quelque chose chez nos concitoyens: « Liberté, Égalité, Fraternité ». Il précise cette liberté en quatre points:

Liberté 0 : La liberté d'exécuter le programme, quel que soit l'usage ;
Liberté 1 : La liberté d'étudier le fonctionnement du programme, et de le changer comme bon vous semble, ce qui nécessite l'accès au code source ;
Liberté 2 : La liberté de redistribuer des copies, afin, par exemple, d'aider votre prochain;
Liberté 3 : La liberté de distribuer vos modification et vos améliorations du programme afin d'en faire profiter toute la communauté, ce qui nécessite, là encore, l'accès au code source.

Il va créer la licence logicielle dite "GPL" pour "GNU Public Licence", qui assure que tout code placé sous son égide garantit ces libertés qu'il estime fondamentales. Et afin de faire en sorte qu'un travail placé sous GPL ne puisse être pillé et utilisé dans un contexte privateur, c'est à dire ne respectant pas ces libertés (on parle aussi de logiciel "propriétaire", bien que ce terme ne plaise pas à Stallman et il s'en explique dans le livre), la GPL inclut une clause qui stipule que tout code qui incorpore du code d'un programme placé sous GPL doit être lui-même placé sous les termes de la licence GPL.

A partir de là, il lance en 1983 le projet GNU dont le but est d'écrire un système d'exploitation de type UNIX complet et sous licence libre. Le projet finira par aboutir en 1991 lorsqu'un étudiant finlandais du nom de Linus Torvalds fournira avec Linux (alors appelé Freax) la dernière brique manquante du système: un noyau fonctionnel. Le noyau officiel du projet GNU (Hurd) n'ayant pas été fini à temps... On connaît la suite et le succès croissant du système GNU.

Bien écrit et tout à fait fascinant, le livre se lit d'une traite et retrace à peu près toute l'histoire de l'informatique personnelle au travers de la vie de l'un de ses pionniers. Plus encore, le livre dresse l'apparition du combat moral dans ce domaine et retrace l'histoire de son héros à la droiture intellectuelle inflexible et aux idées visionnaires. Il est, je trouve, regrettable qu'il ne soit pas plus entendu aujourd'hui, pas uniquement pour son point de vue sur le logiciel mais sur la société de l'information en général. Et c'est ce dernier aspect que l'on découvre de manière approfondie dans cette biographie.

Richard Stallman a des choses très intéressantes à dire, les commentaires qu'il fait sur l'actualité sont souvent pertinents. Resté fidèle en tout temps à « l'éthique hacker », il restera dans l'histoire comme l'un des premiers penseurs de la société de l'information, et l'un des plus vaillants défenseurs de nos libertés. Aujourd'hui, le fruit de son travail est mûr, GNU/Linux est tout sauf un système réservé à des personnes prêtes à faire je ne sais quel compromis, guidées par un idéal moral inatteignable [2]. Je reste sidéré que son message ne trouve pas un plus grand écho dans notre société, et me demande pourquoi le plus grand nombre reste attaché aux logiciels privateurs, et, pire encore, sourd aux menaces qui pèsent sur l'organisation des sociétés de l'information. Stallman fustige ceux qui « bradent [leur] liberté pour des raisons de commodité », je le rejoins en observant inquiet la tendance contemporaine à la disparition de la réflexion au nom de l'aspect prétendument « pratique » des choses.

Le parallèle qui me vient à l'esprit est un peu osé. Il y a déjà plus de 2000 ans, les philosophes grecs ont très largement réfléchi et produit un corpus abondant sur la philosophie politique [3]. Pour autant, cela n'a pas empêché la plupart des sociétés d'implémenter des tyrannies sanguinaires au sortir de l'antiquité et au long du Moyen Age, ignorant ces réflexions sensées, comme si elles n'avaient retenu des grecs que le sophisme. Et bien j'ai malheureusement l'impression que nous en sommes un peu là avec le logiciel libre: nous avons d'un côté un penseur qui a perçu dès le départ le danger du logiciel privateur et qui est parvenu à insérer dans le cadre légal existant la définition d'une licence de logiciel qui permettrait de garantir les libertés de chacun. De l'autre, nous avons de véritables empires qui n'ont que faire des libertés, pervertissent les standards, prétendent le faire par souci de simplicité, en gros pour la propre protection des utilisateurs... bref de véritables tyrannies. J'espère sincèrement que l'on ne déterrera pas l'œuvre de Stallman dans deux millénaires pour l'étudier avec admiration comme c'est le cas pour celle de Platon.

Vous l'aurez compris, je recommande très vivement la lecture de cette biographie !

[1]Steven Levy, écrira dans Hackers paru en 1984 que « l'éthique hacker » est régie par cinq principes: 1) Toute information est par nature libre. 2) Être anti-autoritariste. 3) Les hackers se jugent par leurs prouesses, non par d'autres hiérarchies sociales. 4) Art et beauté peuvent être créés avec un ordinateur. 5) Les ordinateurs peuvent changer et améliorer la vie.

[2] Pour vous en convaincre (si besoin...), jettez un oeil à la liste des ordinateurs les plus puissants de la planète. Tous tournent sous GNU/Linux. Regardez les propriétaires: Department Of Energy (Commissariat à l'Energie Atomique américain), NSA (services secrets), pour des applications parfois (et sans surprise) non spécifiées... pas exactement le cliché d'idéalistes barbus que l'on décrit généralement comme utilisateur de GNU/Linux.

[3] Je vous encourage à relire La République de Platon, particulièrement les livres VIII et IX, utiles comme base à toute réflexion sur les systèmes politiques et leur évolution, y compris les systèmes contemporains.
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le 26 nov. 2014

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