L’Empire éternel

Roma Æterna se présente comme un recueil de nouvelles s’étendant sur près de 1500 ans (en gros du Ve au XXe siècle), avec en toile de fond cette grande idée : et si l’Empire romain n’avait jamais disparu ?

L’intérêt de ce type de récit, c’est qu’on va directement à l’essentiel, que c’est efficace. L’inconvénient, c’est que ça ne laisse pas trop de place au développement des personnages et de l’intrigue. Roma Æterna cumule les deux à la fois.

Les histoires racontées sont en majorité intéressantes. Robert Silverberg a une bonne plume, et ses récits se suivent très bien. Mais si l'on creuse un peu plus du côté de l’uchronie, la crédibilité de l’ensemble en prend un sacré coup.

Premier problème, le postulat de départ. Suffit juste de lire la quatrième de couverture : pourquoi le christianisme (ou une autre forme de monothéisme) n’apparaîtrait pas si les Juifs échouaient à quitter l’Égypte ? Surtout, l’absence du christianisme suppose que l’auteur en fait la raison principale de la chute de l’Empire romain… théorie fumeuse qui est réfutée par les historiens depuis des décennies. En outre, si l’on continue, Robert Silverberg suppose que l’islam serait apparu normalement sans le christianisme, et en fait l’enjeu de sa deuxième nouvelle… ce qui est là aussi faux. Sans christianisme, pas de religion musulmane (en tout cas telle que nous la connaissons). Enfin, il est indiqué que dans un monde où l’Empire romain n’aurait jamais disparu, les progrès technologiques évoluent plus lentement… ce qui est vrai, car le moteur du progrès, c’est la compétition entre les nations. Dès lors, pourquoi indiquer juste après que le téléphone et l’automobile font leur apparition en même temps que dans notre réalité ?

J’ai juste lu le résumé, et déjà toute la crédibilité du roman a disparu.

Comme je l’ai indiqué, ce roman n’est pas mauvais. Dans l’ensemble c’est correct, mais le côté uchronie est raté, et c’est là-dessus que je vais vraiment insister.

La troisième nouvelle nous raconte la deuxième tentative romaine de conquérir le Nouveau Monde : l’expédition est lancée dans ce qui équivaut au début de notre XIIe siècle… Comment l’auteur a-t-il justifié cela ? Tenez-vous bien : les Vikings ont découvert l’Amérique comme dans notre réalité, et l’un d’entre eux a survécu pour ensuite retourner chez lui, voir l’empereur et tout lui raconter ! Quel intérêt à faire cela ? Dans ce monde alternatif, les Vikings sont devenus des âmes charitables qui non seulement ne prennent pas la peine d’aller piller leur voisin, mais en plus vont leur faire part de leur découverte alors qu’ils n’ont rien à y gagner.

Où sont les Mongols dans Roma Æterna ? Les Magyars ? Les Turcs ? Quid de la peste de Justinien ? De la peste noire ? Non, rien de tout cela. A partir du moment où les Romains ont vaincu les barbares et les Perses, ils sont supposés être tranquilles. Là encore, c’est tordre l’histoire et ça ruine le peu de crédibilité qui restait à l’œuvre. Et je ne me suis même pas penché en détails sur certaines intrigue, qui sont parfois difficile à avaler (l’empereur de la première histoire qui décide de ne pas compter sur son plus fidèle serviteur, l’Empire romain d’Orient qui se fait absorber en un rien de temps sans combat, la dernière famille impériale bien crédule, etc.).

Suffit juste de gratter pour constater les couleuvres que Robert Silverberg essaye de nous faire avaler. J’avais mis 6/10, mais ce bouquin est tellement mal foutu que je baisse logiquement la note.