Je suis de la génération de ceux qui savaient qu'un jour ils auraient à passer un temps sous les drapeaux, qui espéraient y échapper et étaient par conséquent à l'affût de toute bonne idée pour se faire réformer à moindre frais.
Cette génération est née dans la décennie qui a suivi la seconde guerre mondiale et pour ce qui me concerne dans un environnement familial profondément marqué par ce conflit et pratiquant le culte des glorieux combattants qui ont jeté à terre le fascisme allemand et leurs sinistres collaborateurs pétainistes. Elle était en fait partagée entre un patriotisme fait de vénération et le repli presque prostré des deuils à faire qui préfigurait sans doute l'individualisme et les défiances des années à venir.
Cette même génération était trop jeune pour être mobilisée dans la terrible guerre civile coloniale d'Algérie qui a vu tous les affrontements, toutes les violences et toutes les exactions. Un conflit qui est resté parfaitement illisible pour beaucoup avant de devenir le creuset de toutes les prises de conscience et des clivages à venir.
Je suis de la génération de ceux qui, une fois adolescents, puis jeunes adultes se sont nourris dans l'air de leur temps d'un féroce antimilitarisme biberonné en partie aux prestations de l'adjudant Kronembourg, dont Cabu aimait rapporter les postures et les mots plutôt amusants dans Charlie Hebdo.
Puis vint le jour, après bien des ruses et des sursis grappillés parfois de manière douteuse, où il fallut bien aller traîner ses guêtres dans une cour de caserne, participer à la levée des couleurs le matin, refuser les classes prolongées pour devenir brigadier afin d'assurer un premier encadrement de mes camarades appelés bien plus jeunes que moi. Il était alors hors de question de prêter main forte à la ganache militaire qui cherchait à nous dominer et peut-être même nous avilir.
Ce service militaire obligatoire ne dura pour moi qu'un petit trimestre. J'ai été longtemps convaincu que j'avais été plus malin que l'institution militaire en minimisant la confidence d'un capitaine qui m'avait fait comprendre que, selon lui et le colonel chef de corps, je serais sans doute plus utile au poste dans le civil qui m'attendait qu'à conduire un camion du régiment du Train qui m'hébergeait alors.
De cette courte période en uniforme, je garde quelques souvenirs très précis.
Une conférence sur la philosophie de la dissuasion nucléaire et, en prime, un soir à la bibliothèque du régiment, une conversation plus poussée sur ce thème avec l'officier d'orientation de la caserne.
Une autre conférence sur la place et l'importance d'un régiment du Train dans un ensemble plus vaste de la Défense Opérationnelle du Territoire pour nous faire comprendre que nous n'étions pas le centre du monde mais faisions partie d'un ensemble qui cherchait cohérence et efficacité.
Dans ce casernement, je n'ai pas rencontré l'adjudant Kronembourg ; le seul adjudant rencontré était un peu fort en gueule, avec une conversation très réduite et toujours à prendre avec des pincettes. J'y ai connu ou entrevu quelques officiers et des sous-officiers de belle eau et je n'en garde pas le souvenir désagréable auquel je m'attendais.
Puis revint le temps de la vie professionnelle et citoyenne dans toute sa plénitude. Ancien adhérent et militant d'un parti de gauche qui ne s'était pas compromis pendant la guerre d'Algérie et était né de l'opposition à cette guerre, le moment était venu de faire quelques mises à jour sans pour autant renoncer à l'essentiel.
Bien plus tard, le cinéma a contribué également à aider à faire la part des choses et à mettre du plomb dans l'aile au manichéisme. Cela demanderait de plus longs développements bien entendu, j'y reviendrais un jour.
Je ne connaissais l'ancien officier Guillaume Ancel ni d'Eve ni d'Adam et nos chemins ne se sont jamais croisés ni dans une caserne, ni dans une rue de la ville. J'ai fait sa connaissance virtuelle le jour où j'ai entrepris de lire tout ce qui me tomberait sous la main concernant la tragédie qu'ont vécue les Rwandais alors que notre armée était sur place.
Suspicieux et peu enclin à prendre pour argent comptant tout ce qui me serait conté, j'ai lu avec beaucoup d'attention et d’intérêt Rwanda, la fin d'un silence. Témoignage d'un officier français. Je vous invite sans hésitation à lire ce témoignage d'un ancien officier en mission pour vous aider à vous faire une opinion sur les graves événements et sans doute nos errements dans cette Afrique des grands lacs.
J'ai apprécié quant à moi la liberté de parole de Guillaume Ancel, le ton employé et la prudence de l' observateur qui ne prend pas les faits observés et les analyses qu'il en fait pour l'Histoire du conflit mais bien pour une contribution qui éclaire autant qu'il se peut.
C'est ce même ton qui est le sien quand il relate sa mission de Casque bleu au Cambodge et la mission d'officier-artilleur qui doit guider les frappes des avions de l'OTAN contre les batteries serbes qui assiègent Sarajevo en Yougoslavie.
Ainsi donc, en mon nom, en notre nom, des hommes et des femmes qui ont fait le choix des armes sont engagés dans des conflits, non pas pour défendre au premier degré la mère patrie, mais pour défendre nos intérêts sur des théâtres d'opérations parfois aux antipodes. Qui sont-ils ? Qui sont-elles ? Quelles sont leurs motivations ? Quelles sont leurs attentes, leurs joies et leurs peines ?
Le dernier livre de Guillaume Ancel Saint Cyr, à l'école de la Grande Muette.
est sa réponse à ces questions. Ce quatrième livre est écrit sur le même ton et dans le même esprit que les précédents. Il est indiscutablement une contribution de plus à notre entendement de la « chose militaire ».
Les hommes et les femmes qui choisissent le métier des armes comme d'autres choisissent de servir la République dans les corps judiciaire ou enseignant ne sont pas des agents de l'État totalement hors-champ dont il conviendrait de se garder et ils sont comme les premiers des serviteurs de l'État qui ont des comptes à rendre et des droits à faire valoir. Des droits mais également des exigences qui sont justement de ne pas être relégués ou pire considérés comme des pestiférés dont il faudrait se méfier en permanence, ne les prenant en compte que dans la cour d'honneur de l'Hôtel des Invalides.
Honorer nos soldats va de pair avec une connaissance précise des enjeux de leurs engagements, des moyens qui leurs sont accordés pour ce faire, de l'esprit dans lequel ils sont appelés à agir et cela autant que la nécessaire discrétion des opérations militaires le permet.
Il me semble que les quatre livres de Guillaume Ancel s'inscrivent parfaitement dans cette exigence que nous sommes nous-mêmes en droit de formuler. Le dernier qui relate comment sont formés les officiers de l'Armée de terre à l'Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr semble induire quelques crispations sur lesquelles les citoyens que nous sommes ne peuvent que s'interroger.
Saint Cyr, à l'école de la Grande Muette. ( Flammarion)
Un Casque bleu chez les Khmers rouges:Journal d'un soldat de la paix,Cambodge 1992 (Belles Lettres)
Rwanda, la fin du silence : témoignage d'un officier français.(Belles Lettres)
Vent glacial sur Sarajevo (Belles Lettres)