San Perdido est un roman plutôt complexe car David Zukerman multiplie les points de vue sur une cité panaméenne et son microcosme.Du plus démuni au plus puissant, chaque personnage est une pièce d’un patchwork baroque où rien n’est prévisible ni gratuit.Ainsi, Zukerman demande à son lecteur d’observer son récit ( se déroulant sur une vingtaine d’années) sous le prisme de l’enchaînement subtil des circonstances.Yerbo Kwinton, de part son initiation quasi chamanique, son origine du peuple de la jungle des Cimarrons, le fait qu’il soit muet avec un regard singulier, est le personnage sidérant de part son pedigree et sa grande force acquise très tôt. C’est aussi celui étant au cœur d’intrigues savamment pesées où il deviendra un héros immortel face aux abjections du monde. Le lecteur ne peut avoir que de l’empathie pour cet homme extraordinaire en permanente recherche d’équilibre et de justice dans son environnement. Agissant comme un régulateur, un protecteur, Yerbo s’est donné la mission de tordre le cou aux vices de toutes sortes,à la corruption liées à la bassesse humaine.S’interposant entre victimes et bourreaux, il assainit à sa façon un monde gangrené.Cette dimension christique du personnage peut déranger n’étant pas rationnelle pour un sou.Or, confrontée aux problèmes bien quotidiens des habitants de San Perdido, elle finit par trouver une place devenue légitime et indispensable.Alors oui, on pourrait voir l’histoire se dérouler comme un western bien codifié avec des situations bien convenues. Ce qui fait la différence, c’est cet effet de surprise ménagé mais aussi comment certains personnages bons apparemment perdus dans leurs existences trouvent un nouveau souffle ( Hissa,Félicia notamment).Zukerman, en entrecroisant certaines intrigues, n’ennuie pas son lecteur mais lui demande d’être toujours à l’affût de recadrages par rapport à l’ensemble de sa création.Cela n’est pas de tout repos mais l’expérience en vaut vraiment la peine. Je trouve seulement que son épilogue est vite envoyé et aurait mérité un peu plus d’approfondissement. Un défaut vraiment mineur face à ce travail narratif considérable où le lecteur doit être tenu en haleine sans gamberger. Zuckerman y est parvenu pour notre plus grand plaisir et c’est là sa plus grande réussite.