Vargas délestée de son emblématique commissaire Adamsberg, signe dans ce roman une enquête fort sympathique menée par Louis Kehlweiler dit l'Allemand, ancien consultant du ministère de l’intérieur au passé obscur. Toute la marchandise du camelot Vargas est présente : une enquête légère et bien rythmée, son univers poétique et décalé, sa pléiade de personnages fantasques et bien évidement, son humour.
Une fois de plus, Vargas joue avec les codes du polar. Le principal suspect, Clément Vauguer, protégé de Marthe, est caché et soustrait à la police par l’enquêteur et ses assistants, situation relativement cocasse. D’autant que sa non culpabilité n’est pas franchement établie, ni partagée par tous les membres de cette escouade. Ce suspect n’est pas n’importe qui : simplet désœuvré, sorte de Gavroche moderne, désarmant de candeur et de bêtise, s’exprimant très maladroitement dans un langage ampoulé et décalé donnant un caractère intensément drolatique aux dialogues.
Le personnage de Kehlweiler n’a pas beaucoup de points communs avec Adamsberg si ce n’est d’être, tout comme lui, un électron libre, un franc-tireur peu enclin à se soumettre à la morale ou à l’ordre supposé des choses. Son caractère est somme toute beaucoup plus rigide, plus dur … même si son concubin et confident, se nomme Bufo…. son fidèle crapaud toujours à portée de main, caché dans une boite à gants ou une poche de veste.
La communauté formée par Vandossler et les évangélistes (personnages récurrents dans l’œuvre de Vargas) tient une place centrale dans la galerie de personnages atypiques développée dans ce roman à l’image de la brigade dans la série des « Adamsberg ». Une véritable bande de pieds nickelés : savants, fantasques, caractériels qui aident Kehlweiler uniquement par amour pour une amie chère, Marthe. Vieille prostituée, ersatz d’Arletty, qui a recueilli et éduqué Clément Vauguer, sa « poupée », du mieux qu’elle pouvait, entre deux clients.
Le Plaisir est le maître mot de cette lecture pour moi. Le plaisir de retrouver des personnages atypiques déjà croisés dans d’autres romans, plaisir de l’ambiance, plaisir des bons mots, car comme d’habitude l’enquête n’est pas la motivation première pour lire un Fred Vargas
(pour preuve la résolution de l’enquête qui se fait non pas par l’enquêteur, mais par un de ses assistants grâce à une inspiration digne d’Adamsberg)
. Elle y distille également sa vision et ses valeurs comme à son habitude. Dans son univers, le Paris du peuple ou la province modeste, tous les personnages sont socialement handicapés, surtout financièrement parlant. En revanche, ils possèdent d’innombrables autres richesses : culture, savoir, intelligence et valeurs humaines. Le sel de la vie résidant davantage dans la jouissance d’un gratin, d’une partie de cartes ou dans la beauté d’un monument que dans la possession, le pouvoir ou la réussite sociale.
En bref, un bon cru Vargas, probablement pas le meilleur mais encore un excellent (et court) moment de légèreté, de fantaisie et d’humour.