Joe Haak est employé à la City. Son quotidien ? Analyser les événements (géo)économiques et (géo)politiques afin d’anticiper les baisses d’actions. En effet, caricature d’un monde de la finance spéculateur et immoral, son entreprise prospère sur les faillites d’autrui. Seulement un jour, il découvre que ce n’est pas une firme, une industrie ou encore un pays qui court à sa perte, mais l’ensemble de l’Humanité. Au bout du rouleau, Joe s’enfuit au bout du bout des Cornouailles, résolu à se jeter à la mer avant que la civilisation toute entière ne chavire.
Cependant, la baleine en a décidé autrement. Par un matin d’automne, elle ramène notre Joe-nas (vous l’avez ?) sur la plage d’un paisible village de pêcheurs, aux antipodes de Londres la grouillante. Le jeune analyste ne tardera pas à découvrir le hameau, dont le calme n’a d’égal que la blancheur des maisons de Cliff Street, et ses trois cent sept âmes (bientôt trois cent huit). S’intégrant au sein de la communauté quasi-autarcique, Joe fera la rencontre de personnages hauts en couleurs et attachants (qui mériteraient d’être plus développés). Ensembles et menés par leur messie sorti des eaux, les villageois devront surmonter le seul danger capable de venir troubler la tranquillité de St Piran : la fin du monde.
« Nous ne sommes qu’à trois repas de l’anarchie. »
Au travers d’un conte moderne, marin et poétique, John Ironmonger nous livre une vision humaniste et optimiste de la chute du système actuel, à contre-courant des productions post-apocalyptiques contemporaines. Dans cette réflexion sur les comportements humains, la référence à Hobbes, telle la baleine dans la baie, n’est jamais très loin. Cependant, l’auteur propose une alternative plus réjouissante à la guerre de tous contre tous. Et si l’état de nature consistait en une ère de solidarité, de troc et d’entraide ? Et si, en réalité, la puissance dévastatrice de l’intérêt personnel s’arrêtait aux portes de l’économie capitaliste ?
Finalement, si le récit se déroule dans un cadre anglais charmant et à la douceur apaisante, Ironmonger arrive à nous chatouiller les neurones en nous amenant à nous questionner sur un modèle sociétal dont la complexité et le degré de développement ne sont surpassés que par la fragilité de ses maillons essentiels. Un seul hydrocarbure vous manque et tout est dépeuplé.
Bref, ce livre est un repas autour d’un feu de camp par une belle soirée d’été.
(PS : loin d’être bilingue, j’ai pris mon temps pour lire l’œuvre en version originale, qui m’a paru mieux écrite et plus poétique que les extraits de traduction que j’ai pu trouver)