https://exulire.blogspot.com/2025/03/sans-soleil-duologie-jean-christophe.html
Je retrouve mes premiers amours de thriller avec Jean-Christophe Grangé, un auteur que je suis depuis toujours. Au fil de ses parutions, je n’ai manqué qu’un seul de ses romans, mais c’est anecdotique. Cette fois encore, il nous plonge dans le noir, le très noir. Après Les Promises (1940) et Rouge Karma (post-Mai 68), Sans Soleil nous entraîne dans les années 80, une époque où la fête s’essouffle, où l'insouciance se fane, laissant place à une nouvelle ère plus sombre. La parenthèse dorée du disco s’est refermée, les chemises à jabot ont disparu, et à la place, un monde plus brut émerge : celui de l’underground parisien, des bars et clubs homosexuels, des lieux de drague plus ou moins dissimulés… et surtout, l’ombre grandissante du SIDA, une menace encore mal comprise, qui transforme le plaisir en poison et condamne une génération entière.
On retrouve dans ce roman tout ce qui fait la marque de Grangé : une noirceur omniprésente, des meurtres sauvages, des âmes perdues, des destins torturés. Un style qui rappelle La Terre des morts ou Lontano, où l’homme est souvent réduit à ses instincts les plus sombres, les plus primaires, les plus sauvages. Ici, son passé journalistique refait surface : on sent qu’il a voulu explorer cet univers à la manière d’un reporter, en capturant l’essence de ces lieux où les illusions se brisent et où la fange humaine se dévoile. Mais attention, il faut avoir le cœur bien accroché : ce n’est pas une simple enquête criminelle, c’est une plongée abyssale dans un monde à l’agonie, sans filtre, sans artifice : du cru, du cru, du cru ...
Au départ, j’ai eu peur de retrouver encore le schéma trois hommes – une femme menant l'enquête, déjà exploité dans Les Promises (avec Simon Kraus, Mina von Hassel et Franz Beewen) ou Rouge Karma ( avec Hervé, Jean-Louis et Nicole). Mais ici, les trois protagonistes principaux suivent chacun leur propre route. Pas d’enquête menée à trois, mais plutôt des trajectoires qui se croisent, s’éloignent et tentent de survivre à leurs propres démons. L'auteur nous propose donc cette immersion en compagnie d'Heidi, une jeune réfugiée politique, marquée par une mère alcoolique. Elle aide son meilleur ami à briller dans le monde de la nuit homosexuelle, se tenant à la lisière d’un univers où elle n’a pas tout à fait sa place, mais où une forme d’amitié tacite se dessine. C'est vraiment le personnage que j'ai le plus apprécié et où j'ai vu une évolution au fur et à mesure de la lecture. On retrouve ensuite Saugur, ce médecin, soigne les homosexuels atteints de maladies encore mal connues, mais il vit hanté par ses souvenirs d’Afrique, par l’image fantasmée de la femme noire, par une vie rêvée qu’il ne retrouvera jamais. Je trouve que c'est le personnage le plus insaisissable. Et puis Swift, le flic qui veut échapper à son propre passé en se jetant à corps perdu dans une enquête qui va vite virer au carnage. Sûrement le personnage le plus instable de la bande, parfois touchant, parfois détestable, il ne peut qu'évoquer des sentiments extrêmes à son égard.
Comme j'ai pu l'évoqué ci-dessus, ce roman est plus qu’un thriller, c’est une descente aux enfers. Sauvage, violent, cru, dérangeant, exhibitionniste, il ne ménage ni ses personnages ni ses lecteurs. J’ai eu des hauts le cœur à certains passages, j’ai parfois voulu détourner les yeux, mais c’est précisément ce qui fait la force de Grangé. Ce premier tome nous amène aux portes de l’horreur, et je suis curieuse – et inquiète – de voir où il nous emmènera dans la suite.
Mais une chose est sûre : ce livre n’est pas pour tout le monde. C’est une lecture qui marque, qui dérange, qui écœure parfois. Mais si l’on est prêt à plonger dans l’ombre, alors c’est un roman fascinant, qui montre une époque à la fois libérée et brisée, où la mort rôde dans chaque recoin de la nuit parisienne.