Un essai bref, synthétique, clair, sur Schopenhauer, qui élague les idées du philosophe pour nous en présenter l’essentiel. Si l’on peut s’introduire à la doctrine du philosophe, soit par ce qu’on en a dit, soit en lisant directement ses textes, le risque est élevé, dans le premier cas, de se noyer dans la marée décourageante de pages du Monde comme Volonté et comme Représentation, et dans le deuxième cas, de méconnaître l’apport de ses doctrines à la Philosophie. Dans ce dernier cas, en effet, comme le dénonce Clément Rosset, nombreux sont les lecteurs, et propagateurs, des idées de Schopenhauer, qui n’ont retenu de lui que des idées secondaires. Quant à lire directement les ouvrages de l’auteur, on peut s’y essayer, et la méthode reste, d’ailleurs, la plus sûre pour s’imprégner de la pensée d’un auteur. Néanmoins, malgré sa langue assez simple, par opposition à d’autres philosophes allemands de la même époque, sa lecture reste exigeante, d’autant que comme l’explique Clément Rosset, Schopenhauer est spécialiste de l’équivoque dans le vocabulaire qu’il emploie.
L’ouvrage de Clément Rosset nous apporte donc un éclairage bienvenu sur la doctrine d’un auteur finalement assez méconnu, voire sous-estimé, en abordant les grands thèmes de sa pensée, allant de la distinction qu’il fait entre raison et causalité, à sa conception du déterminisme, en passant par sa défense de l’ascétisme comme moyen de lutte contre la Volonté, tous ces chemins découlant, en définitive, de la conception absurde qu’il se fait du monde.
Plus qu’un éclairage sur les doctrines de l’auteur, l’ouvrage replace aussi celui-ci à la place qui lui est due au sein de l’histoire de la philosophie, c’est-à-dire une place charnière.
Trop moderne pour son époque, Schopenhauer l’est en ce qu’il préfigure la philosophie généalogiste qui sera celle d’un Nietzsche, d’un Marx, ou d’un Freud, et qui consiste en un rapprochement de deux termes, a priori totalement étrangers, d’un même phénomène. C’est en cela que Schopenhauer est un précurseur, introduisant une philosophie de rupture : l’introduction de la prédominance de ce qu’il appelle la Volonté sur la Raison retentit comme le premier coup d’une révolution que poursuivront, notamment, les quelques auteurs suscités (même si je vois mal pourquoi Marx est inclus), en rupture avec la philosophie traditionnelle qui plaçait la raison (et, du même coup, la liberté individuelle), au-dessus de tout, et notamment de la Volonté.
Trop classique, Schopenhauer l’est, en ce qu’il ne tire pas les conclusions de cette révolution qu’il entame, ce qui fera l’objet de railleries de la part de Nietzsche, qui poursuivra l’entreprise initiée par Schopenhauer, comme si, ayant démontré le primat de la Volonté, et l’absurdité du monde, Schopenhauer s’était arrêté là, ne voyant pas l’intérêt d’entrer clairement dans les application particulière de sa doctrine générale. Son classicisme transparaît à travers l’emprise qu’exerce sur lui la philosophie de Kant, dont il se réclame, tout en étant, cependant, en rupture avec lui, comme s’il n’avait pu s’affranchir des chaînes de ce sommet de la philosophie classique.
On le voit, Clément Rosset ne fait pas une apologie de Schopenhauer ; son approche se veut aussi critique, et il n’hésite pas à soulever les contradictions, ou du moins les questionnements, qui émergent de la pensée de Schopenhauer. Je pense notamment au passage sur la Volonté, dont l’influence transparaîtrait à travers chacune de nos actions, emprise dont seul l’ascétisme permettrait de nous défaire. A cela, Clément Rosset soulève la question suivante : et l’ascétisme, ne serait-il pas aussi une manifestation de la Volonté ? La question est d’autant plus pertinente que la Volonté ne serait pas que l’expression (nécessaire ? j’hésite à employer le mot ; mes connaissances sont encore très fébriles) la plus triviale des instincts, mais régirait l’intégralité de nos actions. Mais au fond, peut-être l’ascétisme est-il la seule possibilité d’action qui soit indépendante de nos instincts ; après tout, n’est-il pas l’expression de la lutte que nous pouvons mener contre ceux-ci ?
En conclusion, il s’agit d’un ouvrage bienvenu, et de qualité, pour tous ceux qui n’ont pas le niveau, ou l’envie, de se plonger dans l’immensité du Monde comme Volonté et comme représentation. Il permettra notamment à tous ceux qui, agacés de la pédanterie, du conformisme, de l’assurance des philosophes de tous temps, ayant pétri le nôtre de leurs idées, souhaitent s’introduire, s’engager dans une autre voie, plus sombre, plus tortueuse.
Note : Ayant lu rapidement l’ouvrage, il se peut que j’aie mal compris tel ou tel point, de la philosophie de l’auteur, ou des points soulevés par Clément Rosset ; n’hésitez pas à m’ouvrir la voie vers le Vrai.